vendredi 21 novembre 2008

La force de la faiblesse

2 Corinthiens 11:16 – 12:1o

Roy Clements présenta ce discours à la conférence d’Evangelicals Concerned (région occidentale) en juillet 2002. C’était originairement tiré de son livre du même titre.


Je voudrais vous parler des dangers d’être trop spirituel.

Vous croyez peut-être que c’est quelque chose d’assez inattendu voire répréhensible à vouloir discuter. Bien sûr, tout chrétien devrait aspirer à être aussi spirituel que possible, n’est-ce pas ? Néanmoins, je crois que mon désir de discuter de ce sujet est bien justifié, parce que dans sa deuxième lettre aux Corinthiens, l’apôtre Paul met ses lecteurs en garde contre justement la même chose.

Un groupe d’étrangers était entré dans l’église corinthienne et avait rapidement commencé à dominer. Nous ne savons pas exactement qui ils étaient. Il est très difficile de les associer avec aucune hérésie connue dans l’église primitive ; en fait, il n’y a pas la moindre indication que leur doctrine n’était pas tout à fait orthodoxe. Tout ce qu’on peut dire en toute certitude, c’est qu’ils étaient juifs, qu’ils se conféraient à eux-mêmes le titre d’« apôtre » et – le plus important – qu’ils n’aimaient pas Paul.

Pourquoi cette animosité ? Aussi curieux que cela nous paraisse, leur problème fondamental avec Paul était qu’il n’était pas assez spirituel ; il était tout simplement trop… normal ! Vous vous demandez peut-être pourquoi être normal serait un problème. Eh bien, c’est là où il est important de comprendre la culture du monde helléniste. Paul était un chef spirituel, un chef qui, autrement dit, était censé être en contact avec Dieu. Et les Grecs nourrissaient d’exceptionnellement hautes espérances d’une telle personne.

Quelqu’un ayant Dieu de son côté devait être doté d’une personnalité éblouissante. Par exemple, il avait peut-être une réputation pour des exploits miraculeux, comme Hercule, l’héros de la mythologie grecque, qui, aidé par des forces surnaturelles, sortit victorieux et indemne de toutes sortes d’épreuves et de difficultés. Ou bien un chef spirituel pouvait être quelqu’un ayant des visions ou des expériences occultes, comme l’oracle célèbre de Delphi dans l’antiquité. Ou peut-être qu’un chef spirituel pouvait même établir une réputation fondée sur une origine exotique, comme les prêtres des religions nouvellement populaires de l’Orient.

Que ce soit par ses actes héroïques, par ses expériences mystiques ou par ses origines exotiques, d’une manière ou d’une autre, quiconque allait être un crédible chef spirituel dans la société grecque devait être formidable. Car dans cette culture-là, le succès était tout. Qu’on soit orateur ou athlète, acteur ou soldat, l’important était d’étaler sa supériorité personnelle sur autrui. Pour avancer dans la société helléniste, il fallait projeter une image importante : éloquente, assurée, prospère, virile – en un mot, forte. Si l’on n’avait pas un corps d’athlète, il fallait tout au moins une personnalité dynamique. Il fallait être sûr de soi jusqu’à l’arrogance. Car les Grecs ne considéraient pas l’humilité comme une vertu. Au contraire, pour eux, l’humilité était impossible de distinguer de la servilité ; c’était un vice. Tout grand homme devait pouvoir se vanter ; il devait être fier. Cela faisait partie intégrante de la définition même d’être « grand ».

Or, cette image impressionnante de force et de puissance était le style de direction spirituelle que les soi-disant « apôtres » qui avaient envahi l’église offraient aux chrétiens à Corinth. Etant donné que c’était exactement le genre de modèle de gestion qu’admirait le monde séculier de cette époque-là, il n’était pas surprenant qu’ils y gagnaient beaucoup d’adhérents parmi les jeunes croyants. Ce faisant, cependant, comme je l’ai dit au début, ils entraient en conflit avec Paul. Pourquoi ? Parce que Paul ne projetait simplement pas ce type d’image et n’a rien fait pour l’acquérir. Il était, comme je le dis, trop normal… en fait, pour quelqu’un qui affirmait être un grand chef spirituel, il semblait être étrangement vulnérable à l’accusation d’être tout à fait le contraire d’un individu fort et puissant… il n’était pas difficile pour ses ennemis de l’affubler de l’étiquette d’homme « faible ».

« Paul ? » raillèrent-ils. « Paul – un chef spirituel ? Il n’est même pas un excellent orateur ! Peut-être qu’il semble assez intimidant en écrivant ces longues lettres-là, mais, en personne, il est un petit homme incompétent. Il est tellement nul pour parler en public qu’il n’ose même pas prendre d’honoraires. Juste un amateur, cet homme ! Comment se peut-il qu’il soit apôtre ? La spiritualité veut dire les actes et les expériences surnaturels ; les chefs spirituels devraient être puissants, mais Paul est faible. Il n’est pas un chef spirituel – non par rapport à nous, tout au moins ! »

Par cette sorte de campagne de diffamation, la faction rivale à Corinth sapait l’autorité de Paul. Et c’est cette question que Paul aborde dans la partie finale de cette lettre à l’église.

Il commence à se défendre à partir du chapitre 10, verset 1 où il prévient ses lecteurs qu’il était loin d’être « timide » et « ordinaire » comme certains le prétendaient. Dans 11:5 il se réfère directement à ses détracteurs, les qualifiant sarcastiquement de « super-apôtres », et insistant qu’il sait compenser son manque de talent pour la rhétorique grecque professionnelle par sa connaissance de première main du Christ. A partir du verset 11:13, Paul cesse de prendre des gants, et après s’être brièvement et plutôt sarcastiquement excusé de ne pas exploiter les finances de ses congrégations, il dénonce ses rivaux comme de faux apôtres se faisant passer pour de vrais apôtres de la même façon que Satan se fait passer pour un ange de lumière.

Mais c’est dans les versets 11:16-12:10, que nous allons étudier, que sa réponse devient la plus intense – car Paul présente dans ces versets-là, d’une façon hautement personnelle et émouvante, un compte-rendu de sa compréhension de la vraie signification d’être un chef spirituel et pourquoi il est qualifié.

Il ne faut pas mal comprendre son motif pour ceci. Il ne souffrait pas de fierté blessée. Ces « faux apôtres », comme il les appelle, faisaient quelque chose de beaucoup plus sérieux que de simplement blesser sa réputation personnelle. Ils contestaient la nature entière de la spiritualité chrétienne. Pour autant qu’on puisse en juger, leur doctrine était solide et ils avaient probablement eu une impeccable éducation chrétienne, bien qu’en projetant cette image sécularisée et mondaine de spiritualité et de direction, ils aient subtilement corrompu le christianisme. Il ne serait pas exagéré de dire qu’ils offraient aux gens un faux Jésus (voir 11:1 et seq.), un Jésus faussé, un Jésus qui ne souffrait plus, qui ne portait plus une croix, qui n’est plus né dans une mangeoire, un Jésus qui n’était plus méprisé et abandonné des hommes – bref, un Jésus qui n’était plus faible.

Et voilà ce que Paul ne pouvait simplement pas permettre. Car il s’était enfin rendu compte que c’était par la faiblesse de Dieu-devenu-homme que le salut du monde avait été gagné. Et ce n’était qu’en acceptant humblement une telle faiblesse que ceux qui seraient les disciples de Jésus pouvaient jamais trouver le secret de la vraie force spirituelle.

Il y avait donc un paradoxe en jeu dans la dispute de Paul avec ces prétentieux apôtres rivaux de Corinth qui frappait au cœur même de l’évangile. Il lui était essentiel de trouver un moyen de piquer leur ego surdimensionné ; il devait révéler l’erreur de leurs affirmations super-spirituelles. Il devait montrer aux chrétiens ordinaires à Corinth que ces soi-disant apôtres pouvaient le dépeindre comme non spirituel seulement parce qu’ils se trompaient sur de la nature de la vraie spiritualité. Et puisqu’ils avait choisi à faire Paul lui-même le centre de leurs idées erronées, il n’avait pas d’autre solution que d’employer lui-même comme exemple afin de les corriger. Bref, il lui faudrait se défendre contre leur litanie de plaintes à son sujet.

Il est bien clair que Paul se sentait mal à l’aise à l’idée de faire cela. Pour lui, parler de lui-même ressemblait à la vantardise, et quoiqu’il ait été plutôt doué en cela autrefois, la vantardise ne lui venait plus naturellement. Cela le faisait se sentir, nous dit-il, comme un insensé. Mais la confusion des Corinthiens ne le laissa aucun choix. Afin de regagner l’allégeance de l’église corinthienne, il lui faudrait prendre ces faux apôtres prétentieux à leur propre jeu. Il lui faudrait « se vanter », comme s’il était un d’eux. Mais, il insiste qu’il n’entreprendrait cette stratégie fâcheuse qu’à contrecœur.

Je le répète : qu’on ne me prenne pas pour un insensé. Ou alors,
acceptez-moi comme tel, que je puisse à mon tour un peu me vanter! (11:16)

Autrement dit : il semble qu’afin que vous écoutiez ce que j’ai à dire, je doive me comporter comme un vantard idiot. Eh bien, j’entrerai dans votre jeu absurde ; je ferai le clown et chanterai mes propres louanges pendant un moment, si c’est ce que vous désirez. Mais, comprenez tout au début

En parlant comme je vais le faire, je ne m’exprime pas comme le Seigneur veut
qu’on parle, je le ferai comme dans un accès de folie. Puisque plusieurs se
vantent pour des raisons tout humaines, eh bien, moi aussi je vais me vanter.
Vous qui êtes si raisonnables, vous supportez volontiers les insensés!
(11:17-19)

Paul utilise l’ironie à de nombreuses reprises dans ces chapitres pour discréditer ses rivaux et c’est là un bon exemple. ‘Vous m’avez obligé à parler comme un vaniteux’, dit-il, ‘ce qui est quelque chose que le Seigneur Jésus lui-même n’aurait jamais fait’. Considérez donc ce qui suit comme si Paul avait temporairement perdu la boule. ‘Je sais que vous allez tolérer mon petit accès de folie, vous qui êtes si parfaitement raisonnables ! Je vous assure, mon petit étalage d’égocentrisme ne sera rien à côté de celui de la bande de crâneurs devant qui vous semblez à présent si anxieux de faire des courbettes !

Vous supportez qu’on vous traite en esclaves, qu’on vous exploite, qu’on vous dépouille, qu’on vous traite avec arrogance, qu’on vous gifle ! (11:20)

Voici un aperçu du type de modèle autoritaire pour des chefs chrétiens qu’établissaient les faux apôtres à Corinth, ceux qui, d’une manière typiquement grecque, méprisaient les faibles et s’attendaient à ce que les gens non honorés de faire partie de l’élite spirituelle rampent devant eux.

‘Non’, dit Paul, son sarcasme lourd d’amertume : ‘Je l’avoue avec honte : nous nous sommes montrés bien faibles !’ (11:21)

Autrement dit, c’est vrai, en tant qu’apôtre je vous ai peut-être parlé avec autorité – mais je ne vous ai jamais traités avec la sorte de mépris intimidant que montrent ces faux apôtres. Si vous considérez mon refus de vous abuser ainsi comme de la faiblesse – alors donc, excusez-moi, s’il vous plaît, de ne pas me plier à vos tendances masochistes.

D’accord – assez parlé des mises en garde introductives ; laissez-moi, Paul le vantard idiot, prendre la scène pour quelque temps ! Vos soi-disant apôtres disent que je ne suis pas un chef spirituel. Ils affirment que je ne peux pas égaler leurs qualifications. Bon, si vous les Corinthiens insistez pour savoir ce que sont les affirmations de Paul, d’une façon réticente et très gênée, je vous les préciserai.

1ère caractéristique d’un chef spirituel :

Considérons la génétique, pour commencer. Vous les Grecs pensez que les origines ethniques sont importantes, n’est-ce pas ? D’accord – voilà la lignée dont je suis issu.

Ils sont Hébreux? Moi aussi. Israélites? Moi aussi. De la postérité d’Abraham? Moi aussi. (11:22)

Comme je l’ai déjà dit, les rivaux de Paul étaient probablement juifs, et il apparaît probable qu’ils essayaient de capitaliser sur leurs origines sémites. Dans un lieu comme Corinth, une touche de l’exotique dans son milieu d’origine était un avantage net. Les religions orientales étaient considérées très avant-gardiste, comme elles le sont dans certains cercles de nos jours. Paul assure les Corinthiens que s’ils sont assez insensés pour penser qu’il est plus probable de vivre des expériences religieuses par les Juifs que par d’autres groupes ethniques, son origine ethnique est tout aussi « supérieure » que celle de ses rivaux. Lui aussi est juif : à cent pour cent. Assez parlé de la génétique.

2ème caractéristique d’un chef spirituel :

Et les exploits héroïques ? Souvenez-vous, les Grecs y accordaient beaucoup d’importance aussi.

Ils sont serviteurs du Christ? C’est une folie que je vais dire : je le suis plus qu’eux. Car j’ai travaillé davantage, j’ai été plus souvent en prison, j’ai essuyé infiniment plus de coups; plus souvent, j’ai vu la mort de près. Cinq fois, j’ai reçu des Juifs les « quarante coups moins un ». Trois fois, j’ai été fouetté, une fois lapidé, j’ai vécu trois naufrages, j’ai passé un jour et une nuit dans la mer. Souvent en voyage, j’ai été en danger au passage des fleuves, en danger dans des régions infestées de brigands, … en danger à cause des faux frères. J’ai connu bien des travaux et des peines, de nombreuses nuits blanches, la faim et la soif, de nombreux jeûnes, le froid et le manque d’habits. Et sans parler du reste, je porte mon fardeau quotidien : le souci de toutes les Eglises. (11:23-28)

Ce catalogue est un vrai coup de maître ; car on faisait souvent le panégyrique des héros grecs avec exactement cette sorte de curriculum. Cependant, Paul fait ici une chose très ingénieuse avec ce récital conventionnel d’un CV d’héros. Quelles choses inclut-il dans son propre catalogue d’accomplissements personnels ? Les résultats de ses grandes croisades d’évangélisation, peut-être ? Ses écrits théologiques prolifiques ? Son esprit d’entreprise audacieux et son initiative missionnaire ? La liste impressionnante des apôtres chrétiens influents qu’il connaît personnellement ? Mais non, il n’énumère que très peu de tout cela, voire rien du tout. En fait, il ne dit rien qui serait le moins impressionnant selon les critères grecs.

Au lieu de cela, il dresse la liste des persécutions qu’il avait subies, les dangers auxquels il avait échappé de justesse et le sens paralysant de responsabilité qui mettent tous la pression psychologique sur lui sans répit. « Les difficultés, les privations et les anxiétés – voilà mon sort » dit Paul. « Et comment est-ce que je les affronte tous ? Est-ce que je sors comme un jeune Hercule, frais et rempli de confiance en moi après chaque épreuve ? Pas du tout ! »

Qui est faible sans que je sois faible ? Qui tombe sans que cela me brûle ? (11:29)

Je suis en désaccord avec l’interprétation majoritaire de ce verset-là. La plupart des commentateurs le prend comme un développement du verset 28. Ils soutiennent que Paul explique la nature de son inquiétude sur les églises. N’importe quel échec ou apostasie l’affecte personnellement. Si quelqu’un hésite sur sa foi en Christ, Paul en est affaibli. Si quelqu’un s’écarte de la vérité, Paul brûle d’indignation ou en est extrêmement gêné. Sans aucun doute cette interprétation a du sens, mais à mon avis, n’est pas d’accord avec la direction générale de la rhétorique de Paul ici. Il paraît beaucoup plus probable que dans ce contexte Paul met l’accent sur sa propre faiblesse morale et spirituelle, pas celle d’autres gens. Il ne dit pas « les autres ajoutent continuellement à mon chagrin par leurs échecs et par leurs péchés » ; mais plutôt, « bien que je sois apôtre, je ne suffis pas à affronter tous les problèmes physiques et moraux qui me viennent. Je ne suis pas plus fort que le reste du monde. Je ne suis pas plus insensible à la tentation qu’eux. En fait, mon seul témoignage, par suite de toutes mes épreuves dans le ministère chrétien, est un sens de mon inadéquation personnelle qui s’approfondit sans cesse ».

Oui, s’il faut se vanter, c’est de ma faiblesse que je me vanterai. Le Dieu et Père du Seigneur Jésus, qui est loué éternellement, sait que je ne mens pas. (11:30-31)

Autrement dit : « Les autres héros peuvent se vanter qu’ils sont exceptionnellement puissants, s’ils le jugent nécessaire. Mais l’honnêteté brutale exige que j’adopte un style différent d’autopromotion. Moi, je dois me vanter de ma faiblesse ».

« En effet, tant que nous parlons de mon passé, permettez-moi d’ajouter une illustration pour prouver ce que j’avance. Si vous voulez vraiment savoir quel genre d’apôtre je suis, je vous le dirai : j’en suis le genre qui, quand les choses deviennent vraiment dures, s’enfuit. C’est vrai ! Je l’ai toujours été. La toute première chose que j’ai fait après être baptisé était de m’enfuir ».

A Damas, le gouverneur du roi Arétas faisait surveiller toutes les issues de la ville pour m’arrêter. Par une fenêtre du mur d’enceinte, on me fit descendre dans une corbeille le long du rempart, et ainsi seulement j’ai pu lui échapper. (11:32-33)

Et voilà Paul ! Pas un Alexandre courageux qui gravit des forteresses ennemies afin de les prendre. Non. Paul est le type d’homme qui descend des forteresses ennemies afin d’éviter d’être pris lui-même. « Un lâche, voilà ce que je suis » dit Paul ! « Je ne le nie pas ».

Or, réfléchissez bien. Voyez-vous ce que Paul essaie de faire ici ? En employant cette tactique ironique et ingénieuse, il bascule l’image séduisante de spiritualité chrétienne que les faux enseignants donnaient à manger aux Corinthiens. Ils considéraient un apôtre comme un surhomme dynamique qui avait du succès à revendre. Mais ils se trompaient. Ceux qui se présentent eux-mêmes de cette façon vantarde, comme le dit Paul, se trahissent comme de faux apôtres. Car les vrais apôtres du Christ sont bien différents. Ce sont des gens qui reçoivent la persécution et le mépris du monde. Ils connaissent le danger né d’une providence inamicale, ils connaissent la privation née de la pauvreté abjecte, ils connaissent l’anxiété née de la responsabilité intolérable ; et surtout, ils connaissent l’humiliation née de la connaissance qu’ils sont indignes et inadéquats.

Si les Corinthiens mettent Paul au pied du mur et insistent pour qu’il chante ses propres louanges comme un idiot, il le fera. Mais c’est sa vulnérabilité et ses échecs dont il fera étalage devant eux, pas ses forces et ses réussites. Car contrairement aux chefs qu’ils admiraient tant, Paul n’était pas un imposteur prétentieux – il possédait de la spiritualité réelle. Et par suite il ne méprisait pas la faiblesse. Au contraire, il y compatissait. S’il est forcé à se vanter, il se vantera donc des choses qui démontrent sa faiblesse.

3ème caractéristique d’un chef spirituel :

Et les expériences surnaturelles ? Après tout, on s’attend à ce que les grands chefs spirituels soient également en faveur d’elles, n’est-ce pas ? Bon, permettez-moi de vous donner mes références à cet égard.

Il faut donc que je me vante, bien que cela ne soit pas bon. Mais je vais parler maintenant des visions et révélations que le Seigneur m’a accordées. Je connais un chrétien qui, il y a quatorze ans, fut enlevé jusqu’au troisième ciel (Je ne sais pas s’il fut réellement enlevé ou s’il eut une vision, Dieu seul le sait), et là il entendit des paroles inexprimables et qu’il n’est permis à aucun être humain de répéter. Je me vanterai au sujet de cet homme – mais, quant à moi, je ne me vanterai que de ma faiblesse. (12:1-5)

Voilà ce qui est nettement une description d’une profonde expérience extasiée ou mystique. Il se peut que la modestie empêche Paul de parler à la première personne, bien qu’il parle « comme dans un accès de folie ». Ou il se peut que l’expérience fût tellement loin de sa vie quotidienne qu’il semblait comme si quelqu’un d’autre l’avait vécue. Mais il est clair que Paul ne nous raconte pas de seconde main l’expérience d’un ami. Le « chrétien » n’était personne d’autre que lui-même, comme le verset précise plus tard.

Il y a plusieurs aspects de cette expérience qui méritent notre attention.

D’abord, même pour Paul, une telle expérience mystique était extrêmement rare. Cela s’est produit « il y a quatorze ans ». Donc, c’était une expérience qui n’arrive qu’une fois dans une vie, pas une partie habituelle de la méditation quotidienne de Paul.

Deuxièmement, c’était extraordinairement intense ; « s’il fut réellement enlevé ou s’il eut une vision ». Autrement dit, il se sentit enlevé jusqu’au domaine spirituel, le « troisième ciel » comme il l’appelle. Que ce soit une vision qui se produisit dans sa tête ou un enlèvement réel, il ne pouvait en être certain ; l’expérience était tellement intense qu’elle éclipsa toute conscience normale.

Troisièmement, Paul dit clairement qu’une telle expérience était très spéciale et fournit, potentiellement au moins, des raisons pour un certain degré de fierté spirituelle. « Je me vanterai au sujet de cet homme ». Ce n’était pas une expérience chrétienne normale. Un homme qui connaît une telle expérience se distingue comme spécialement privilégié.

Quatrièmement, Paul considère cette expérience comme particulièrement personnelle. Il entendit des choses « inexprimables », dit-il, des choses qu’il « n’est pas permis à aucun être humain de répéter ». Donc, elle n’était pas donnée à Paul pour partager avec d’autres gens. Elle était privée entre lui et le Seigneur. Pour commencer, elle était impossible à partager. Comme toute expérience mystique elle défiait toute description. Encore plus que cela, dit-il, il aurait été illégitime d’essayer de la partager. Le mystère impliqué était trop sacré ; il n’était pas destiné à être publiquement déclaré.

De plus, Paul affirme qu’il aurait été imprudent de la partager.

Et pourtant, si je voulais me vanter, je ne serais pas un insensé, car je ne dirais que la vérité. Mais je m’en abstiens. Car je désire éviter que l’on se fasse de moi une idée supérieure à ce qu’on peut déduire de mes actes et de mes paroles. (12:6)

C’est extrêmement important. Paul ne voulait pas influencer ce qu’on pensait de lui en exposant cette expérience étonnante. Elle était privée et ne pouvait être vérifiée. S’il s’en était vanté il aurait laissé la porte ouverte à toutes sortes de charlatans qui se vantaient trompeusement des expériences mystiques qui étaient pareillement invérifiables, et qui par conséquent revendiquaient l’autorité dans l’Eglise. Paul refusa donc de soutenir son prestige de cette façon. Il préférait que sa réputation ne soit basée que sur les choses qui pouvaient être corroborées sans ambiguïté par l’observation de son caractère et de ses enseignements : il voulait être respecté pour ses « actes » et ses « paroles » seulement, non pour ses visions dramatiques et ses révélations.

Mais enfin, il y a un cinquième aspect de cette expérience mystique qui mérite également notre attention : elle ne vint pas sans un prix.

Cependant, afin que je ne sois pas enflé d’orgueil pour avoir reçu des révélations si extraordinaires, il m’a été mis une écharde en la chair, comme un messager de Satan chargé de me frapper (12:7).

Il y a des spéculations sur exactement ce que Paul voulait dire par l’« écharde en la chair ». La vérité simple, c’est que personne ne sait.

Certains suggèrent que c’était une personne dans sa vie qui était une source de difficultés et de découragement – un opposant théologique, peut-être, ou même une épouse incroyante !

Une autre interprétation plausible est que l’écharde en la chair est un symbole pour quelque sorte de maladie physique douloureuse ou agaçante. Certains ont suggéré, par exemple, que Paul souffrait peut-être de mauvaise vue à la suite de sa vision aveuglante en route pour Damas. Une autre théorie célèbre est qu’il avait des accès récurrents de malaria.

D’autres ont soutenu que l’« écharde » ne signifie pas ici le corps physique mais la nature inférieure – donc, l’écharde symbolise un péché charnel pressant qu’il devait combattre – la convoitise sexuelle, peut-être.

Et à cet égard, bien sûr, il y a eu quelques commentateurs qui ont suggéré que Paul était peut-être aux prises avec l’homosexualité. Il n’est pas difficile de trouver des preuves indirectes qui soutiennent une telle théorie. Il n’y a aucune mention d’une femme dans sa vie, après tout – et il était bien extraordinaire qu’un rabbin juif reste célibataire. Et qui plus est, il avait des relations très proches avec plusieurs camarades mâles – notamment Timothée. Bien entendu, la société juive orthodoxe du temps de Paul était très homophobe, et ainsi, un juif homosexuel n’aurait pas d’autre choix que de rester dans le placard. Sans aucun doute, les étalages flagrants de l’homosexualité dans des villes païennes comme Corinth ou Rome auraient été extrêmement troublants pour une telle personne. Si Paul avait été homosexuel, il aurait été sujet à la souffrance intérieure formidable – tout comme le serait un(e) chrétien(ne) LGBT de nos jours, éduqué(e) dans une église très conservatrice qui doit alors vivre et travailler dans un environnement qui est très sexuellement permissif comme celui de San Francisco ou de New York. Qui plus est, si Paul avait été troublé de cette façon il n’aurait sûrement pas pu l’avouer ouvertement, son ministère aurait été irrémédiablement compromis et une arme importante aurait été présentée sur un plat à ses adversaires juifs. Pour lui, la seule façon possible de se référer à une telle lutte privée aurait été au moyen d’une métaphore très ambiguë – une métaphore comme une écharde en la chair.

Pourtant, bien qu’il soit tentant de spéculer à cet égard, cela ne puisse être rien de plus que la spéculation. On n’en sait tout simplement rien. Paul doit avoir eu ses propres raisons d’en parler en termes tellement cryptiques. Mais peut-être que l’objet du Saint-Esprit en l’inspirant pour employer cette vague métaphore était de mettre cette confession de vulnérabilité personnelle sur les lèvres du grand apôtre de telle manière que chaque chrétien puisse la partager.

Car, voyez-vous, nous avons tous quelque chose dans notre vie qui est une source de douleur physique, de découragement émotionnel ou d’épreuve morale, et qui semble ne jamais partir. Bref, nous avons tous une écharde en la chair. En se référant à sa propre source de frustration en termes tellement obliques, Paul permet à chacun d’entre nous de s’identifier à lui… et c’est vrai pour nous les chrétiens gays plus que personne. Plus que personne, nous connaissons l’écharde en la chair. Tout comme Paul, notre spiritualité est questionnée par les gens moralement supérieurs dans nos églises qui ont du mépris pour notre « faiblesse ». Notre droit d’être au pouvoir est questionné. Tout comme Paul, nous sommes de plus en plus forcés de nous défendre – d’expliquer comment quelqu’un avec une telle écharde évidente en la chair pourrait possiblement prétendre être spirituel.

Eh bien, voici la réponse à ce défi – si Paul pouvait si positivement regarder son écharde en la chair, quoi qu’elle soit, et la changer même en source de fierté chrétienne – nous aussi, nous pouvons le faire ! L’important à cet égard n’est pas la nature précise de son handicap, mais son effet sur son ministère. Pourquoi lui a-t-il été donné ? Il nous dit lui-même – pour le « garder de l’orgueil ». Il y avait un vrai danger, voyez-vous, qui était associé au privilège spirituel de ces révélations avec quoi, en apôtre, il avait été favorisé : le danger de l’orgueil. Très peu de gens ont jamais été mis en contact tellement intime avec le ciel qu’ils ont vu le Seigneur ressuscité lui-même. Mais Paul l’avait été ! Il serait bien trop facile de se croire quelqu’un de spécial. L’écharde en la chair était une sorte de remède prophylactique contre une telle tentation. Dieu la permit de tenir Paul dans une position d’humilité spirituelle.

Il est compréhensible qu’au début, cela ne lui plaise pas.

Trois fois j’ai prié le Seigneur de l’éloigner de moi (12:8).

Paul n’était initialement pas disposé à accepter cette écharde. Ce n’est pas une exagération de dire qu’il était rebelle. Il n’est pas difficile d’imaginer les arguments qu’il aurait exposés dans ses prières. ‘Seigneur, sûrement que je serais un serviteur plus efficace pour vous sans cet handicap. Il est déjà assez difficile d’affronter tous les dangers et toutes les privations de la vie missionnaire sans devoir lutter contre cette maudite écharde en la chair !’ Mais le Seigneur refusa son requête et, finalement, Paul était réconcilié à la situation.

Remarquez la réponse qu’il fut donnée :

Mais il m’a répondu : « Ma grâce te suffit, c’est dans la faiblesse que ma puissance se manifeste pleinement. » (12:9)

Dieu ne prendrait pas le risque d’enlever l’écharde. Elle avait un objet crucial dans la vie de Paul. Au lieu de cela, il assura Paul qu’il ne souffrirait aucun obstacle à son ministère par la suite ; au contraire, il serait encore plus efficace. D’autres deviendraient chrétiens non parce qu’ils considéraient Paul comme un héros impressionnant, dynamique et surnaturel, mais parce qu’ils pouvaient voir la grâce de Dieu travaillant si manifestement en lui, malgré sa faiblesse naturelle. Et Paul se rendit compte enfin que c’était là le meilleur chemin.

Ce qui m’amène à la dernière chose que je voudrais que vous remarquiez dans ce passage : la grande leçon que Paul apprit :

C’est pourquoi je me vanterai plutôt de mes faiblesses, afin que la puissance du Christ repose sur moi. Je trouve ainsi ma joie dans la faiblesse, les insultes, la détresse, les persécutions et les angoisses [autrement dit : dans toutes ces choses que vous les corinthiens, dans votre état d’esprit séculier, trouvent difficiles d'associer à la spiritualité] que j’endure pour le Christ. Car c’est lorsque je suis faible que je suis réellement fort. (12:9-10)

Il est difficile d’exagérer l’importance de ces deux versets. Ceux-ci représentent le noyau même de la thèse de Paul dans ces chapitres. Ils sont la réprimande finale à la mentalité corinthienne. Ce sont les Corinthiens, dit-il, qui sont les vrais idiots. Ils admirent ceux qui se vantent de leurs révélations et de leurs visions. Ils se prosternent devant ceux qui se vantent de leurs exploits. Mais Paul ne le fait pas : et, ironiquement, la conséquence directe de ses propres visions et révélations était qu’il apprit ne pas se vanter ainsi ! Le christianisme, il se rendit compte enfin, était incompatible avec de tel comportement. Car la spiritualité chrétienne prend plaisir à la faiblesse ; c’est seulement dans l’acceptation et la confession de faiblesse que le chrétien trouve la grâce de Dieu surnaturelle, coulant pour satisfaire leur besoin.

Il me semble que ces versets sont énormément pertinents pour nous pour plusieurs raisons.

D’abord, parce que la sorte de super-spiritualité à laquelle Paul s’oppose est loin d’être absente dans notre [vingtième] siècle. Il y a beaucoup de chefs chrétiens aujourd’hui qui veulent s’entourer avec les mêmes sortes d’aura surnaturelle ; qui pensent qu’être spirituel doit vouloir dire des miracles, des visions et du ‘puissance’. A ce propos, notez attentivement l’insistance de Paul que chaque expérience spirituelle que l’on a n’est pas nécessairement destiné à être partagée. Il y a des détails intimes de nos vies qui sont rabaissés par l’exposition publique et ne sont pas destinés pour l’exhibition publique, même dans l’église. Méfiez-vous de ceux qui se vantent toujours des révélations, des expériences et des victoires qu’ils ont eues ; car la réticence dans de telles affaires est le signe de la vraie spiritualité.

Remarquez aussi que les expériences extasiées du contact direct avec le ciel sont extraordinaires, même pour des apôtres remplis de l’Esprit. D’après le récit de Paul il est clair que de telles expériences peuvent être authentiques. Nous ne devons pas accuser tous les mystiques dans l’Eglise de s’être trompés eux-mêmes, encore moins d’être diaboliquement inspirés, comme le font certains anti-charismatiques. Mais l’expérience mystique ne doit pas être le point de départ pour évaluer la spiritualité d’une personne. Les affirmations de ce genre d’expérience peut être trompeuses. Selon Paul, ce sont les actes et les paroles qui comptent, pas les extases psychiques.

C’est pourquoi Paul ne chercha pas de telles expériences. Sa rencontre dans ‘le troisième ciel’ lui arriva simplement, sans prévenir. Ce n’était pas le résultat d’aucune sorte de discipline mystique. Il n’avait pas prié pendant des mois ni jeûné pendant des jours dans le désert afin d’obliger Dieu à le bénir. Cela lui arriva une seule fois, sans se reproduire, pour autant que nous sachions. Même avec les plus grands saints, de telles expériences sont rares, ou tout à fait absentes : car c’est le caractère, pas les expériences, qui est le vrai signe incontestable de l’Esprit dans sa vie.

Ecoutez ces paroles de St Jean de la Croix, un des plus grands mystiques chrétiens de tous les temps :

Toutes les visions, toutes les révélations, tous les sentiments célestes, et tout ce qui soit plus grand que ceux-ci, ne valent pas le moindre acte d’humilité, étant le fruit de cette charité qui ne s’estime pas elle-même ni ne se cherche pas elle-même, qui pense bien d’autrui mais non d’elle-même. De nombreuses âmes à qui des visions ne sont jamais venues sont incomparablement plus perfectionnées que d’autres qui en ont eu beaucoup.

Méfiez-vous alors des gens super-spirituels qui se vantent sans arrêt de leurs ministères puissants.

Une autre raison que ce passage est pertinente pour nous est à cause de l’accent lourd sur la délivrance qui caractérise certaines parties de l’Eglise de nos jours. Quel que soit votre problème – une maladie physique, une tentation morale, une difficulté conjugale ou l’oppression démonique – il y en a qui vous assureront que la solution ne viendra que par la prière de foi qui fait merveille.

Bon, à ce propos, remarquez le témoignage de Paul que les prières des plus grands saints ne sont parfois pas exaucées de la façon qu’ils veulent. Trois fois Paul demanda quelque chose et trois fois Dieu répondit ‘non’. Trouvez-y un réconfort ! Contrairement aux idées païennes, une prière n’est pas un souhait magique exaucé sans conditions par quelque sorte de bonne fée ; c’est un don d’un Dieu affectueux. Et le Dieu Père ne va jamais nous donner quelque chose qu’il sait n’est pas tout à fait dans nos intérêts à long terme, si persistantes que soient nos demandes. Dieu merci qu’il nous dit parfois ‘Non !’. S’il ne le faisait pas, qui d’entre nous oserait jamais prier de nouveau ?

Cela est particulièrement pertinent au débat entier sur le ministère ex-gay. Les chrétiens doivent être prêts à accepter des luttes de différentes sortes à cause de la contribution positive qu’elles peuvent parfois offrir à leur vie, de même que Paul devait accepter son écharde en la chair. Certains gens nous disent que nous avons un droit d’être délivrés de n’importe quoi et de tout ; et alors, si nous sommes malades et nos corps ne sont pas guéris par la prière, ou si nous sommes gay et notre sexualité ne sont pas réorientée par la prière – il y a donc quelque chose ne va spirituellement pas avec nous. Nous devons manquer de la foi. Je dois vous dire sur l’autorité de cette Ecriture – ce n’est pas le cas. Il y a une attente de la faiblesse et des problèmes dans la vie chrétienne. Bien sûr, nous prions pour du soulagement ; mais si nos prières sont invariablement déniées, nous devons donc conclure finalement que Dieu nous dit, ‘vous m’êtes plus utile avec cette « écharde » que sans elle. Il y a des qualités que vous gagnerez en l’affrontant, et que vous ne pouvez apprendre d’aucune autre manière’.

Au fait, observez-vous que Paul ne fait aucune distinction entre l’œuvre de Satan et la volonté de Dieu dans cette question. Il appelle cette écharde en la chair, que Dieu lui avait donnée, ‘un messager de Satan’. Vous auriez pu penser que quelque chose de ‘satanique’ devait être un objet approprié pour le ‘ministère de délivrance’. Mais non. Satan est sous le contrôle de Dieu, et Dieu lui donne quelquefois l’occasion de nous influencer, comme dans le cas de Job. Paul était un meilleur homme en raison de son écharde en la chair – quoiqu’elle soit un messager de Satan.

En ce qui concernait Dieu, un peu de douleur ou de gêne morale ou de détresse personnelle était un petit prix à payer pour la conquête de l’ego pour un de ses serviteurs. Même le Christ pria une fois, « éloigne de moi cette coupe », et entendit la réponse, « non ». Même lui, on nous dit, était élevé « à la perfection par des souffrances » (Hébreux 2:10) – et il était un meilleur chrétien que nous tous.

Il y a une troisième raison que ce passage est pertinent pour nous aujourd’hui : les qualités d’un grand chef.

—Permettez-moi de vous poser une question : quelle est votre image d’un grand chef?
—Permettez-moi de vous poser une autre question : quelle est votre image d’un grand chef chrétien ?
—Or, permettez-moi de vous poser une troisième question : est-ce que l’apposition du mot ‘chrétien’ dans la deuxième question a matériellement changé votre réponse originale ?

Pour beaucoup d’entre nous la réponse, je soupçonne, serait ‘non’. Les qualités que nous désirons dans, disons, un pasteur sont à peu près les mêmes que nous désirons dans un président. Nous pourrions les résumer en un mot : force. Pour être un grand chef dans n’importe quel contexte, on doit être fort, ferme, robuste. Les paroles des grands chefs doivent être incisives, ne permettant aucune contradiction ; leurs actes doivent être audacieux, n’acceptant aucune défaite. Ils doivent savoir parvenir à ses fins ; ils ne doivent pas paraître faibles ou lâches. Il doit n’y avoir aucun signe de faiblesse, aucun indice d’échec. Un chef doit projeter une image aussi invincible qu’un cuirassé et aussi infaillible que le pape.

C’était, par exemple, l’image de Margaret Thatcher ; elle respirait l’assurance et la force. Si c’est la façon dont on évalue les chefs politiques, c’est encore plus vrai pour les chefs chrétiens. Là aussi, on s’attend à ce que les chefs soient forts. Les pasteurs ne sont pas permis de montrer de la faiblesse. D’autres sont peut-être accablés par des problèmes personnels, mais un pasteur doit toujours se débrouiller et avoir un surplus de ressources pour aider autrui de se débrouiller aussi. Après tout, un chef chrétien, comme Hercule, est du côté des dieux ; donc, même la reine des Amazones ne devrait pas pouvoir résister à son héroïsme soutenu par des forces surnaturelles.

Cela, en tout cas, c’est le mythe. Mais, bien entendu, ce n’est qu’un mythe. Je crois que le but central de Paul dans ces chapitres de sa deuxième lettre aux Corinthiens est de nous exposer à l’idée fausse de ce mythe-là. Il affirme : ‘Vous avez tort de centrer vos idées d’un chef chrétien sur les modèles que vous tirez de votre culture séculière. Un chef chrétien est tout à fait différent. Les grands chefs chrétiens ne sont pas nécessairement forts, du moins non dans le sens du mot que nous entendons en générale. Au contraire, la qualité principale de toute personne dont Dieu va se servir d’une façon puissante est qu’elle doit être pleinement consciente de ses faiblesses, voire de son incompétence’.

J’ai une dernière question à vous poser. Avez-vous fait cette découverte ? Vous êtes-vous rendu compte que vous êtes plus utile à Dieu avec votre écharde que sans elle ? Etes-vous allés au-delà de la recherche vaine de la libération, pour plutôt trouver un témoignage joyeux de l’approbation de soi ? Bref, Êtes-vous content d’être faibles ?

Je suppose que vous pouvez dire que Paul se décrit intentionnellement dans ces chapitres comme un genre d’antihéros ; un homme qui par la grâce de Dieu entraperçut les cieux et sortit de cette expérience déterminé à ne pas faire semblant d’être quelque sorte de géant spirituel – mais content d’être honnête au sujet de ses vulnérabilités et de ses faiblesses – content de vivre une vie qui glorifiait la grâce de Dieu plutôt que sa propre fierté.

Malheureusement, peu de chrétiens dans notre culture occidentale ont appris cette leçon. Nous admirons le « pouvoir » – c’est là notre mot en vogue. Le pouvoir qui fait pousser les méga-églises. Le pouvoir qui fait des méga-miracles. Le pouvoir qui prêche des sermons éblouissants. Le pouvoir qui résiste à toute tentation, qui vainc toute faiblesse, qui délivre de tout assaut démonique – le pouvoir, qui dans un monde obsédé de succès et d’accomplissements, rend possible qu’en tant que chrétien je me croie quelqu’un !

Paul nous dirait, comme il dit aux corinthiens dans une lettre précédente – « quelqu’un », hein ? Mais ne vous rendez-vous pas compte que Dieu pratique une discrimination délibérément en faveur des moins que rien ? C’est vrai : Dieu a choisi ceux que le monde trouve insensés pour couvrir de honte les « sages » ; ce qui est faible pour couvrir de honte les puissants ; les faibles, les méprisés – les moins que rien – pour réduire à néant ceux qui se croient quelqu’un. Et pourquoi ? Ainsi, aucune créature ne pourra se vanter devant Dieu. (Voir 1 Cor 1.)

Si vous insistez pour avoir quelque chose dont vous pouvez se vanter – écoutez-moi – suivez donc mon exemple et vantez-vous des choses qui montrent votre faiblesse.

Sa réponse à ces rivaux qui l’accusaient d’être non spirituel est de leur montrer, par un mélange magistral d’ironie et de paradoxe, que leur idée de la spiritualité et la sienne étaient aux antipodes l’une de l’autre. « Il n’est tout bonnement pas vrai, dit-il, d’affirmer que pour être spirituel il faut projeter une image de supériorité, de surnaturalisme et de ‘pouvoir’. Au contraire, la vraie spiritualité paraît ordinaire ; la vraie spiritualité paraît faible ; elle paraît normale ; de même que le Christ paraissait faible, ordinaire et normal alors qu’il couchait dans la mangeoire et alors qu’il pendait à la croix. Tant que nous vivons de cette côté de la gloire de la résurrection, nous devons nous attendre à paraître faibles, ordinaires et normaux aussi. Ceux qui essayent de vous impressionner par aucune autre sorte de témoignage trahissent tout simplement à quel point qu’ils ne comprennent pas ni connaissent le Christ ».

Car voilà le paradoxe central de notre foi – l’ironie extraordinaire du Calvaire : c’est seulement par l’humiliation que nous découvrons que Dieu nous exalte, c’est seulement en mourant que nous découvrons que Dieu nous fait vivre, c’est seulement en sacrifiant notre vie que nous découvrons que Dieu nous rend notre vie. C’est seulement lorsque je suis faible que je suis fort.

© Roy Clements (traduction : F.W.)

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