vendredi 21 octobre 2011

Lévitique 18 : Qu'est-ce qui était l'abomination ?

Publié sur internet le 18 octobre 2011
par Alex Haiken
On Being Jewish, Christian and Gay


Mon frère en Christ et cher ami Alex Haiken vient de poster cet article sur son blog. Je l’ai trouvé très intéressant et ai donc décidé de le traduire en français pour le partager avec vous ici. Alex est titulaire d’une maîtrise en ministère urbain du Westminster Seminary.

Vu le vacarme sur l’homosexualité, on penserait que la Bible en dit long sur le sujet. Mais non. Il n’y a que cinq ou six versets dans la Bible entière que certains ont interprétés comme abordant ou comme condamnant l’homosexualité. Ces versets, appelés souvent « les passages maltraitants » (‘clobber passages’ en anglais) parce qu’on les utilisent souvent pour critiquer ou condamner les LGBT de nos temps, sont sortis de leur contexte pour démontrer la position anti-gay présumée de la Bible , dont un est le Lévitique 18:22 :

Tu ne coucheras pas avec un homme comme on couche avec une femme ; c’est une abomination.

Le passage se répète dans le Lévitique 20:13 :

Si un homme couche avec un homme comme on couche avec une femme, ils ont fait tous deux une chose abominable; ils seront punis de mort : leur sang retombera sur eux.

POINT DE DÉPART

Comme l’un de mes mentors (John McCall) me rappelle constamment, on n’arrive jamais à la vérité en demandant à la Bible : « Qu’est-ce que cela veut dire ? » La raison est parce que c’est le mauvais point de départ. En fait, ce qu’on demande est, « Qu’est-ce que cela veut dire pour nous aujourd’hui, individuellement ? ». Et c’est pourquoi nous finissons par avoir des milliers des réponses différentes. L’exégèse demande toujours, « Qu’est-ce que cela voulait dire à cette époque-là ? » Il y a une grande différence entre ces questions comme points de départ. A moins que nous n’avons une idée de la signification du texte à l’époque, nous ne pouvons que faire des conjectures quant à ce que cela veut dire pour nous maintenant.

Afin d’interpréter la Bible de façon responsable, l’exégèse nous exige d’extraire du texte ce qu’il signifiait initialement pour l’auteur et ses premiers destinataires, sans y ajouter les nombreuses interprétations traditionnelles qui se sont peut-être développées à son sujet. Le lecteur contemporain doit essayer d’une manière ou d’une autre d’entrer dans le monde de l’écrivain biblique et chercher à comprendre ce que l’écrivain disait. En revanche, bien trop de gens font ce auquel certain théologiens se réfèrent comme « préalimentation », c’est-à-dire, ajouter ses propres opinions personnelles, politiques et préjudiciables à la Bible, au lieu d’en extraire ce que les auteurs initiales voulaient dire. Ce processus d’ajouter nos propres idées dans l’interprétation de la Bible s’appelle « l’eisegèse ». L’exégèse et l’eisegèse sont des approches contradictoires pour interpréter la Bible. L’exégèse porte sur en extraire ce que les écrivains originels disaient. L’eisegèse porte sur ajouter nos propres idées ou nos préjugés dans la Bible. Mais l’exégèse ne nous permet pas d’arracher un passage de son contexte et de le poser dans une autre ère pour des raisons de commodité.

L’ARCHÉOLOGIE PEUT AIDER

Du fait des nombreuses découvertes archéologiques du 20e siècle, notre capacité de faire une exégèse compétente a exponentiellement grandi. En fait, à présent nous savons plus sur la Bible qu’à n’importe quelle autre période de l’histoire, y compris même l’époque du Nouveau Testament. A titre d’exemple : jusqu’au début du 20e siècle, on savait peu sur les Cananéens. On savait peu sur leur religion, leur culture ou leur mode de vie. Dans l’ensemble, notre seul témoin des Cananéens étaient les textes de l’Ancien Testament. Mais en 1929, tout cela a considérablement changé avec la découverte de ce qui s’appelle les textes de Ras Shamra. (Ras Shamra est une région sur la côte du nord de la Syrie, où les restes de la ville cananéenne ancienne d’Ugarit ont été excavés.) Depuis 1929 jusqu’à présent, des milliers de textes et de matériaux ont été découverts. Le vrai trésor, ce n’étaient pas les immeubles ni les bijoux, mais les grandes quantités de manuscrits ont démontré comment la vie citadine de Canaan fonctionnait, et ont révélé une mine de renseignements qui a été inestimable pour notre compréhension de la religion et la culture de Canaan. Beaucoup croient que la découverte de ces textes n’est devancée que par la découverte des Rouleaux de la Mer Morte. Ces manuscrits ont eu une profonde incidence sur les études bibliques. Comment ces découvertes nous aident-elles à interpréter les textes bibliques ?

LE PAGANISME ET L’IDOLÂTRIE

Un des thèmes les plus proéminents et omniprésents qui se tisse à travers la plupart de la Bible est celui du paganisme et l’appel constant à s’en détourner. On trouve un appel continuel à se détourner de l’adoration des faux dieux païens de l’époque et à se tourner vers le seul vrai Dieu vivant, Yahvé. En connexion avec l’appel à se détourner de l’adoration des dieux païens est l’avertissement contre participer aux innombrables rituels ou pratiques des païens. L’Ancien et le Nouveau Testaments consacrent tous deux de nombreuses pages à la condamnation de ces pratiques cultiques païennes. Mais la plupart d’entre nous n’a aucune idée de ce qu’étaient ces pratiques. Elles sont maintenant disparues et complètement étrangères donc pour les conceptions de nos jours. Par conséquent, les déclarations comme, par exemple, Lévitique 18:22 peuvent sembler claires à première vue, mais leurs application et contexte ne le sont pas.

La section commençant à partir du 17e jusqu’au 26e chapitre du Lévitique s’appelle « le Code de Sainteté ». Ce dernier est destiné à fournir un modèle pour le comportement et le mode de vie qui distinguera les Israelites des Cananéens dont le pays Dieu leur a maintenant donné. Pour cette raison, le 18e chapitre du Lévitique commence par une mise en garde stricte contre la rétention des idolâtries de l’Egypte (d’où les Israelites étaient venus), et contre l’adoption des idolâtries de Canaan (où ils se dirigent maintenant). Cette déclaration, selon le commentaire de Matthew Henry, résume le chapitre entier du Lévitique 18.

Mais quelles étaient ces idolâtries de l’Egypte et de Canaan que les Israelites devaient éviter de suivre ? Elles manifestaient quelles pratiques ou rituels étranges ? Pour commencer, on découvre dans l’Ancien Testament que les Cananéens ont brûlé vif leurs enfants en l’honneur de leurs dieux païens, pratiqué l’adoration des serpents, eu des rapports sexuels avec des animaux, ainsi que pratiqué une foule d’autres pratiques grossières et détestables.

LA PROSTITUTION SACRÉE ET LA FÉCONDITÉ

Pourquoi faire de telles choses bizarres ? Quelle était la motivation ? LA FÉCONDITÉ ! La fécondité était très prisée dans l’antiquité d’une façon complètement étrangère à notre pensée moderne. En effet, dans de nombreuses façons, leurs vies en dépendaient. En conséquence de la grande valeur accordée à la fécondité, la religion cananéenne était remplie des pratiques qui Cananéens croyaient apaiseraient leurs dieux de la fécondité et leur gagneraient ainsi la bénédiction de la fécondité : la fécondité de la terre en forme de la pluie pour assurer et augmenter les cultures agricoles, la fécondité dans leur mode de vie par la grossesse et la naissance, la fécondité pour la reproduction de leur bétail, et ainsi de suite. La survie d’Israël reposait sur la fécondité et Baal était un dieu de la fécondité. Cela voulait dire que Baal était la puissance derrière la pluie et la rosée. Et avec des niveaux de pluie peu fiables, la faim était toujours possible.

Comme montrent les commentaires bibliques, la culture cananéenne dépendait aussi sur la prostitution sacrée païenne comme moyen d’augmenter la fécondité. Selon le commentaire IVP Bible Background (l’arrière-plan de la Bible) :

La culture cananéenne utilisait la prostitution cultuelle comme moyen d’augmenter la fécondité. Les adeptes … visitaient le lieu sacre et utilisaient les services des prostituées sacrées [masculines et féminines] avant de semer leurs champs ou pendant d’autres saisons importantes … De cette façon ils honoraient leurs dieux … afin d’assurer la fécondité et la prospérité pour leurs champs et leur bétail.

Dans le New International Biblical Commentary : Josué, Juges, Ruth, pour citer un autre exemple, les auteurs Harris, Brown et Moore, affirment le suivant :

… afin d’assurer la fécondité du peuple, des animaux et le produit agricole, une personne avait des rapports sexuels avec une prostituée cultuelle – soit masculine ou féminine – au temple local de Baal. Le but était d’inciter [le dieu cananéen] à agir de même pour le compte de la personne, et assurer donc la fécondité dans tous les domaines de la vie.

LE TEXTE

Comme vous pouvez peut-être commencer à saisir, nous trouvons certaines choses dans la Bible qui requièrent le contexte et la clarification pour comprendre le texte. Si vous lisez votre Bible assez longtemps et avec assez d’attention, des questions vont se poser que les notes en bas de page ne satisfont pas. Mais équipés avec un bref aperçu du texte, réexaminons le passage du Lévitique, mais cette fois en contexte :

Lévitique 18:21-23

21 Tu ne livreras pas l’un de tes enfants pour les sacrifices à Molok, car tu ne déshonoreras pas ton Dieu. Je suis l’Eternel.
22 Tu ne coucheras pas avec un homme comme on couche avec une femme ; c’est une abomination.
23 Tu n’auras pas de rapports sexuels avec une bête pour te rendre impur avec elle. Une femme n’ira pas s’accoupler avec un animal ; c’est une dépravation.

Si nous examinons le passage dans son contexte, tenant compte à la fois de ce qui le précède et le suit immédiatement, nous remarquons que l’interdiction là dans le Lévitique 18:22, contre les rapports sexuels avec une prostitué sacré, est coincée entre deux autre rituels interdits : l’un dans le verset 21 contre le sacrifice des enfants au dieu cananéen Molok, et l’autre dans le verset 23 contre les rapports sexuels entre femmes et animaux. Les deux rituels illustrés étaient pratiqués par les Cananéens et par les Egyptiens dans leurs cultes de fécondité. Pourquoi les femmes avaient-elles des rapports sexuels avec des animaux ? Le croyance de l’époque était que cela aussi augmenterait leur fécondité. Dans le New Bible Commentary Christopher Wright affirme le suivant par rapport au Lévitique 18 :

La pénétration anale entre hommes, et l’accouplement mâle et femelle avec des animaux, faisaient tous partie de la culte païenne à l’Egypte, en Canaan et ailleurs.

Si nous nous abstenons donc d’arracher le passage de son contexte et lisons plutôt le passage dans son contexte, nous commençons à voir que le Code de Sainteté du Lévitique interdit ces actes pour des raisons religieuses, non pour des raisons sexuelles. La préoccupation est de maintenir la distinction entre Israël et ses voisins idolâtres. L’alliance de Dieu avec son peuple requérait que les Israélites adorent Yahvé seul, pas d’autres dieux. Si on considère les Israélites comme liés à Dieu dans une exclusive relation d’alliance, on peut donc dire que les Israélites commettent l’adultère (ou « vont se prostituer ») chaque fois qu’ils comptent sur d’autres pouvoirs et non sur Yahvé pour les fournir de la nourriture, du confort ou de la protection. « Aller se prostituer », comme l’expression est typiquement traduit, est devenu un idiome commun pour l’adoration d’autres dieux par Israël. Partout dans les Ecritures hébraïques, on trouve qu’Israël fréquentait encore et encore les lieux consacrés à l’adoration des idoles. « Sur toute haute colline et sous tout arbre vert, toi, tu es allongée tout comme une prostituée » dit Dieu par le prophète Jérémie. (Jér 2:20) Encore et encore, on voit que les Israélites n’ont pas seulement adopté les façons cananéennes d’adorer les idoles et les faux dieux païens, mais sont constamment retombés dans ces pratiques.

Si nous ne comprenons pas que l’époque biblique était une époque où il était très fréquent que les hommes ont les rapports sexuels avec les prostitués sacrés (mâles) pour promouvoir et assurer la fécondité, nous passerons complètement à côté du point principal de la condamnation biblique, interprétant mal des versets comme le Lévitique 18:22, pour interdire tout comportement homosexuel. Comme l’a si bien dit F. F. Bruce, érudit biblique et pionnier de la compréhension moderne de la Bible :

Il ne suffit pas de dire ‘comme le dit la Bible’ sans considérer en même temps à qui la Bible s’adresse, et dans quelles circonstances.

L’ABOMINATION

Quant à l’affirmation que l’homosexualité est une abomination, il faut noter que le terme ‘abomination’ est très mal comprise. Le mot hébraïque ‘toevah’ (traduit en français comme ‘abomination’) fonctionne d’une façon précise dans le littérature sacerdotal. En générale, cela veut dire une pratique qui est inadmissible parce qu’elle faisait partie des pratiques cultuelles des religions païennes qui entouraient le peuple de Dieu. C’est peut-être une chose inoffensive en soi, mais afin de protéger les fidèles d’Israël, même des pratiques innocentes étaient interdites. Il peut aussi s’agir de quelque chose d’intrinsèquement maléfique. Mais l’essentiel, c’est que cela fasse partie de la pratique cultuelle des religions païennes. Rappelez-vous-en la prochaine fois que quelqu’un vous dit que ceci ou cela est une abomination pour Dieu. Une ‘abomination’ (toevah) est une pratique cultuelle païenne souvent utilisée pour augmenter la fécondité.

Il est évident qu’un article de blog ne permet pas une discussion approfondie de cette question ni du petit nombre d’autres passages interprétés comme abordant ou comme condamnant l’homosexualité. Mais j’espère vous en avoir donné assez pour y méditer. Comme l’a convenablement dit G. K. Chesterton : « Le but de l’ouverture de l’esprit, tout comme la bouche, c’est de le refermer sur quelque chose de solide ».