samedi 6 décembre 2008

La souffrance et le mystère

une exposition sur Job
par Roy Clements

Il y a peu de doute que beaucoup de gens trouveraient plus facile de croire en Dieu s’il n’existait pas le problème de la souffrance. Il est évident qu’il y a beaucoup de choses dans le monde qui contredisent une confiance insouciante en un Dieu omnipotent et tendre. La souffrance suscite des questions qui sont intellectuellement et émotionnellement inquiétantes.

Certaine souffrance, évidemment, est la conséquence directe de la folie humaine ou des actions criminelles : maltraitance des enfants, accidents de la circulation, bombes terroristes, accidents nucléaires – on peut soutenir que ce sont tous « de notre faute ». Mais en plus de cela, il y a énormément de souffrance qui n’est pas du tout de notre faute : tsunamis et ouragans, cancer et maladies mentales, faim et sécheresse … la liste pourrait continuer. Et même lorsque la souffrance peut être attribuée à la criminalité humaine, il est rare que les criminels en souffrent ; les personnes innocentes en sont presque toujours les victimes.

Il y a tant de choses dans notre monde qui semblent caractérisées par la douleur inutile et imméritée, ce qui pose la même question pour tout chrétien honnête : Pourquoi, mon Dieu ? Pourquoi l’as-tu laissé se produire ?

Bertrand Russell, philosophe à Cambridge au milieu du 20e siècle, a parlé pour beaucoup de gens, je suppose, dans son pamphlet « La foi d’un rationaliste » lorsqu’il a écrit :

Je peux imaginer un démon sardonique qui nous crée pour s’amuser, mais je ne peux imputer à un être sage, bienfaisant et omnipotent le poids terrible de cruauté, de souffrance et d’avilissement ironique de ce qui est le mieux qui ont terni l’histoire de l’homme.

Il n’est pas difficile de compatir à un tel scepticisme ; mais si l’on est croyant, comment donc y répondre ?

En fait, il y a deux façons dont un croyant peut répondre :

La première est de se mettre sur la défensive : de serrer le doudou d’orthodoxie théologique et de tradition religieuse, se fermant à ces questions importunes menaçant la sécurité de la foi. Une telle réponse est de battre en retraite – battre en retraite vers ce que Bertrand Russell qualifierait probablement de « suicide intellectuel » ou « foi aveugle ».

J’appellerai cette approche « faire l’autruche » – « ne faites attention à aucune preuve du contraire – croyez simplement qu’il existe un Dieu tendre et tout-puissant qui maîtrise le monde ».

L’alternative est de passer à l’offensive : d’aborder directement le problème de la souffrance et d’avoir le courage de poser ces questions difficiles, de contester ces réponses conventionnelles. Au lieu de refuser d’affronter l’incertitude, cette approche lutte contre elle.

J’appellerai cette approche « faire face à la tempête » – « si je vais croire, ce sera sans angles mort, sans zones intellectuelles interdites ; une foi qui affronte la réalité, aussi déplaisante soit-elle ».

Depuis que je suis un nouveau chrétien, il m’est important de savoir que chaque fois qu’on examine la Bible, on y est encouragé à se joindre au second camp. La Bible ne fait pas l’autruche en ce qui concerne le problème de la souffrance, bien qu’il faille admettre qu’un bon nombre de chrétiens le font.

En fait, la Bible nous présente à maintes reprises des hommes et des femmes de foi qui abordent le problème de la souffrance avec courage et franchise, sans peur de poser la question, « Mon Dieu, pourquoi ? »

Et, bien entendu, l’exemple classique en est celui de Job.

Dans les premiers chapitres, nous apprenons dans une section de prose que Job était un homme vertueux, mais pour des raisons jamais entièrement expliquées Dieu permet à Satan de le dépouiller de tous ses biens :

  • sa richesse est enlevée
  • ses enfants meurent d’un accident tragique
  • il devient lui-même la victime d’une douloureuse maladie qui le défigure
  • finalement, même sa femme se retourne contre lui – elle lui conseille : « Maudis Dieu, et meurs ! »

Nous apprenons dans ce prologue que toutes ces choses se produisent avec la permission de Dieu. C’est un élément très important dans le contexte du livre, car une certaine solution facile au problème de la souffrance qui est embrassée par un certain nombre de philosophies et de religions est le dualisme.

Le dualisme prétend qu’il existe dans le monde deux forces égales et opposées : l’une qui est bonne, l’autre mauvaise. Elles sont liées, l’une à l’autre, dans un état de tension perpétuelle de manière que toutes les bonnes choses qui arrivent soient dues à la bonne force et toute la souffrance soit due à la mauvaise force.

Cette théorie semble bien plausible. En effet, certains chrétiens l’embrassent ; ils rendent le Diable responsable de la souffrance. Mais le dualisme n’est jamais approuvé dans la Bible. Dieu est le seul souverain de l’univers. Son autorité peut être opposée par des forces malveillantes mais ne peut jamais être contrecarrée.

Quelle est donc la place du Diable ? Selon Job c’est parmi les anges – en tant qu’un être créé sans aucun pouvoir sauf celui que Dieu lui permet.

Donc, nous trouvons dans Job 1:12 que Satan doit demander à Dieu la permission de dépouiller Job de ses biens ; et quand cela ne marche pas, il doit revenir dans le chapitre 2 demander un deuxième mandat. Du début jusqu’à la fin, la situation de Job n’est jamais hors du contrôle de Dieu – voilà la présupposition du livre. Ce qui arrive à Job est donc, dans un sens très réel, « la volonté de Dieu ». Job le reconnaît lui-même :

  • sur la perte de ses enfants : « le Seigneur a donné et le Seigneur a repris » (1:20)
  • en réponse à sa femme hargneuse : « tu parles comme une folle – nous recevrons de Dieu le bien, et pas aussi le mal ? »

Le dualisme ne suffit donc pas. On ne peut pas protéger Dieu de l’embarras du problème de la souffrance par rejeter toute la responsabilité sur le Diable, parce que le Diable (comme Pilate) « n’aurait aucun pouvoir, s’il ne lui avait pas été donné d’en haut ».

Sans doute cela aggrave le problème intellectuel de la souffrance, mais parallèlement, c’est une fondation totalement nécessaire pour être réconforté ou rassuré en temps de souffrance. Quand on essaie d’aider ceux qui vivent une tragédie, on trouve à maintes reprises que c’est seulement la conviction qu’en fin de compte Dieu maîtrise la situation et fait tout dans un but (même si l’on n’en sait rien) qui délivre du désespoir total. Appelez-le de la résignation, voire du fatalisme (quoique je conteste ce mot-là) – nous ne sommes pas abandonnés à notre sort dans un monde incertain où, pour autant que nous sachions, le mal pourrait triompher à la fin de la journée ! Non, Dieu est souverain et contrôle tout, y compris la souffrance humaine. Cette conviction est au centre de ce que la Bible veut dire par la foi.

Et c’est cette conviction qui nous amène à ces deux réponses alternatives au problème de la souffrance. Nous pouvons « faire l’autruche » et faire comme si nous le voyions pas, ou bien nous pouvons « faire face à la tempête » et l’affronter avec courage.

Dans Job c’est la seconde réponse qui est confirmée, bien que l’autre point de vue soit présenté, ne serait-ce que pour être rejetée. Car l’approche de « faire l’autruche » est l’école de pensée caractéristique des trois amis de Job.

Ils sont présentés dans 2:11 : Éliphaz, Bildad et Tsophar. Ces trois sont des exemples classiques de ceux qui « font l’autruche ». Ils sont scrupuleusement corrects d’un point de vue théologique, sûrs qu’ils représentent l’establishment religieux de leur époque, mais ils ferment les yeux et les oreilles sur quoi que ce soit qui ne s’adapte pas à ce cadre doctrinal rigide.

Je crois que nous puissions nous laisser être un peu cynique au sujet de leur but prétendu (2:11) « d’aller plaindre et consoler Job ». Avec de tels amis, il n’avait sûrement pas besoin d’ennemis ! Car, bien entendu, au bout du compte ils ne compatissent pas du tout à sa douleur – ils insistent qu’il a dû provoquer d’une façon ou d’une autre ses propres souffrances.

Je ne crois pas que l’auteur ait l’intention que nous concluions que leurs motifs manquent de sincérité. Éliphaz fait preuve d’une douceur exemplaire dans ses premiers lignes (chapitre 4). Dit-il : « On attendait mieux de votre part, mon vieux. Pensez à tous les bons conseils que vous avez autrefois offerts aux autres. Il est temps maintenant de tenir compte de vos propres conseils ».

Mais le problème est que la position théologique de Job sur la souffrance a changé par suite de son expérience personnelle. Alors que la discussion s’avance, les amis découvrent qu’il est furieux et ressent de l’amertume à propos de ses circonstances. Il n’est pas disposé à accepter leur analyse de ses problèmes et critique de plus en plus durement leurs soi-disant solutions. En conséquence, les amis deviennent de plus en plus intolérants et hostiles envers lui – la sympathie et la consolation cèdent à des reproches et à des réprimandes.

Le livre est construit autour de trois cycles de discours ; chaque ami donne à Job le bénéfice de son conseil et Job y répond.

  • Éliphaz, découvrons-nous, a du mystique en lui. Il attribue sa sagesse à un rêve étrange.
  • Bildad, c’est tout à fait un traditionaliste. Il fait appel aux « pères de l’église » pour étayer ses opinions.
  • Tsophar est le piétiste simpliste. Il jaillit tout le temps des clichés super spirituels et les considèrent comme la sagesse.

Quel que soit le fondement pour leurs opinions, les trois « consolateurs » sont cependant unis dans l’analyse théologique de souffrance qu’ils offrent à Job.

Éliphaz la précise succinctement dans son premier discours :

« ceux qui labourent l’iniquité et qui sèment l’injustice en moissonnent les fruits » 4:8

La souffrance, autrement dit, est une forme de rétribution. Elle résulte du péché. Si l’on souffre, c’est parce qu’on est malfaisant. Les innocents ne souffrent pas, seulement les pécheurs. De même que le labour et l’ensemencement précèdent la récolte, de même, le péché est le précurseur inévitable de la souffrance. Chacun des trois amis réitère cette doctrine centrale. La rétribution est une réaction automatique divine à n’importe quoi méchant, une loi mécanique de la cause et l’effet comme la loi de gravité, que rien ne peut contredire.

Mais voilà le problème – Job la contredit effectivement. Job est une anomalie ne correspondant pas à leur loi scientifique de rétribution. C’est un pilier de la respectabilité morale, néanmoins, sa propriété a été ravagée, sa famille tuée, sa santé ruinée. Comment les trois amis sont-ils censés concilier ce poisson hors de l’eau avec leurs idées préconçues ?

Leur réponse est de faire l’autruche. Ils ferment les yeux sur l’innocence évidente de Job et insistent qu’il doit y avoir une explication à sa souffrance qui est compatible avec leur théorie.

Bildad suggère que les enfants de Job doivent avoir commis un péché, ce qui n’explique évidemment pas la maladie de Job.

Éliphaz constate que tous ont péché, ce qui passe à côté de la question, puisque Job ne prétend jamais être totalement sans péché – il affirme simplement que sa souffrance est complètement hors de proportion avec un quelconque péché mineur qu’il a peut-être commis, comme n’importe quel autre homme.

Mais la seule chose qu’aucun des « consolateurs » ne fera est de renoncer à leur théorie de la rétribution. Ils préféreraient contredire tout ce qu’ils savent de leur voisin et croire qu’il s’adonne à quelque sorte de vice en secret. Donc, avec cruauté croissante, ils sont obligés de l’accuser dans cet esprit.

Dans le chapitre 22 Éliphaz suggère que Job a dû obtenir sa richesse de façon injuste, en exploitant les faibles et en négligeant les pauvres. Ils suggèrent même que lorsqu’il proteste de son innocence, il aggrave son péché par refuser de l’admettre. Il ne peut rien dire qui les fera s’éloigner de cette position intransigeante : il est sans doute pécheur, car seuls les pécheurs souffrent.

Cependant, Job ne les laissera pas le persuader de faire des confessions fausses à la suite de leurs harcèlements. Il ne s’allongera pas sur leur lit de Procruste, c.-à-d., il ne se conformera pas à leur théorie de la rétribution divine. Peut-être feront-ils l’autruche, eux – mais pas lui ! Comme il l’exprime :

Bien loin de vous donner raison, jusqu’à mon dernier souffle, je maintiendrai mon innocence. Je tiens à ma justice et ne lâche pas; ma conscience ne me reproche aucun de mes jours. (27:5-6)

Autrement dit, je ne développerai pas artificiellement une mauvaise conscience simplement pour satisfaire vos théories de la souffrance. Je suis une bonne personne qui ne mérite pas ce traitement-là. C’est un fait et je refuse de le dénier.

Ici, Job me fait penser à Galileo, l’astronome pionnier qui était le premier à voir les lunes du Jupiter à travers une longue-vue primitive. Suggérer à cette époque-là que les corps célestes tournent l’une autour de l’autre aurait été considéré comme une hérésie, donc Galileo a invité les professeurs de l’université de Padua à venir voir pour eux-mêmes. Mais, fait significatif, ils ont refusé. Ils savaient déjà ce qu’ils croyaient et Galileo ne pouvait rien leur montrer à travers sa longue-vue qui pût les faire changer d’avis. Finalement, l’Inquisition a même tourmenté Galileo et l’a forcé à abjurer sa nouvelle théorie géocentrique du système solaire. C’était un exemple classique de la constatation scientifique des faits se heurtant au préjugé théologique né des théories erronées. Et on voit ici chez les trois amis le même type d’adhésion obscurantiste à des idées préconçues. Job doit être pécheur, argumentent-ils. Ils ne regarderont pas les faits d’aucun autre point de vue. Faire ainsi menacerait trop leur position. Ils préféreraient faire l’autruche.

Si je peux m’écarter un peu du sujet – je ne peux pas résister à l’observation que tout cela présente une certaine similarité avec les protestations actuelles au sein de l’Église sur la question gay. Encore une fois il y a une position traditionnelle sur l’homosexualité, à savoir, qu’elle est toujours et invariablement immorale. Tout homosexuel, par définition, doit donc être moralement corrompu et maudit par Dieu. Voilà la théorie. Quelque souvent que les traditionalistes soient affrontés à des gays chrétiens témoignant d’une sensibilité spirituelle, cette théorie ne peut pas être abandonnée. Ces homos-là doivent secrètement s’adonner au vice sur une échelle massive, argumentent-ils. Les trois amis préférerait faire l’autruche sur cette question plutôt que considérer l’alternative pénible que leur perspective théologique sur ce point pourrait être erronée à certains égards.

Ceux d’entre nous qui sont chrétiens et gay se trouvent dans bien des cas marginalisés voire ostracisés au sein de l’Église pour la même raison que Job. Nous sommes en contradiction avec leur théorie. Nous ne nous flagellerons pas avec des confessions artificielles ni avec des remords forcés. Nous n’allons pas faire l’autruche ni dénier notre orientation sexuelle. Non, nous faisons face à la tempête – bien que, comme dans le cas de Job, cela implique de subir l’intolérance et l’hostilité de ceux autrefois considérés comme des amis.

Bon, si Job a un conseil à nous donner, c’est le suivant : n’ayez pas peur de regarder Dieu droit dans les yeux au sujet de votre orientation sexuelle. Dites-lui exactement ce que vous pensez, comme l’a fait Job, peut-être avec une franchise qui était parfois imprudente.

« Je ne retiendrai plus mes plaintes – fais-moi savoir ce que tu me reproches » (10:1-3)

Comme nous avons vu, deux propositions sont au centre des arguments des trois amis :

  • Tous les méchants souffrent.
  • Tous ceux qui souffrent sont méchants.

Alors, comme le dit Job, les deux sont fausses.

« Tous les méchants souffrent » ? Au contraire – les méchants prospèrent (21:7-34). Il ne serait pas difficile de trouver des exemples contemporains qui confirment la prétention de Job : voleurs de banque qui vivent dans le luxe, dictateurs qui meurent dans leurs lits, assassins d’enfant qui échappent à la capture. C’est un monde injuste, et seul un romantique rêveur pourrait suggérer autre chose.

« Tous ceux qui souffrent sont méchants » ? Au contraire, comme le dit Job, je souffre en innocence, une contradiction vivante de votre théorie. Dans le chapitre 31, la consommation de sa série de discours, il fait une déclaration sous serment affirmant son innocence. Il fait la liste de toutes les accusations qui, d’après ses amis, avaient causé ses souffrances, et leur plaide « non coupable ». Affrontez la réalité est le défi qu’il leur lance : « je souffre en innocence alors que des milliers des méchants vivent dans la prospérité. Votre théorie de la rétribution ne fait que vous amener à lancer de fausses accusations contre moi ».

« Vous inventez des mensonges ». (13:4)

Autrefois j’aurais pu parler comme vous – j’aurais pu faire de pareils discours impressionnants, mais quelque chose m’est arrivé depuis qui, comme la constatation de Galileo des lunes du Jupiter, a mis des bâtons dans les roues de ces théories théologiques que nous avions en commun autrefois.

Vous affirmez que Dieu est souverain – bon, d’après mon expérience il est arbitraire et despotique.

Vous affirmez que Dieu est sage – bon, d’après mon expérience il est tout à fait impénétrable et irraisonné.

Vous affirmez que Dieu est juste – bon, d’après mon expérience ce n’est pas tant qu’il est, par définition, complètement irréprochable – en ce qui le concerne, l’idée entière d’un procès équitable est hors de question, car il est à la fois juge, jury et procureur.Il rédige le livre de loi et l’exécute. Il n’y a aucune séparation des pouvoirs dans sa Charte des droits. Ses arguments ne peuvent être contredits, ses verdicts incontournables, ses jugements irrésistibles. Quoi qu’il fasse, il n’est responsable devant personne en dehors de lui-même.

Alors, soyons réalistes : Dieu peut tout faire impunément ! Et dans mon cas, il l’a fait ! Comment se fier à un tel Dieu ? Au contraire, devant lui, je suis terrifié ! (23:13-16)

Or, on aurait pu penser, vu que la confiance de Job en la bonté et en la fiabilité de Dieu était tellement sapée, que, comme Russell, il aurait complètement abandonné la communauté de foi pour devenir un athée.

Un « démon sardonique » est ce que Russell a appelé Dieu, et Job suggère quelque chose d’approchant dans 10:3 :

« Te paraît-il bien de maltraiter, de repousser l’ouvrage de tes mains, et de faire briller ta faveur sur le conseil des méchants? »

Le sarcasme y est plein d’amertume. Tout de même, chose inattendue, bien que les plaintes de Job soient précisées avec beaucoup de franchise et soient parfois tellement outrancières qu’elles frisent le blasphème, il n’abandonne jamais Dieu. En dépit de toutes ses affinités avec Russell, il ne devient jamais incroyant. C’est tout à fait un homme de foi, mais un homme de foi qui ne fera pas l’autruche, qui insiste pour faire face à la tempête.

Cela rappelle les vers de Tennyson dans In Memoriam :

« Il y a plus de foi dans un doute honnête que dans la moitié des dogmes »

Voyez-vous, correctement compris, cette lutte spirituelle que nous observez dans Job fait preuve, non de la faiblesse de sa prise sur Dieu, mais de sa ténacité et sa résistance étonnantes. Ses amis se satisfont de la théorie, contents de Dieu comme « abstraction intellectuelle ». Ils croient en Dieu dans la même façon dont un scientifique croit en la loi de gravité : Dieu était « une explication » qui les permettait de voir de la logique et de l’ordre dans des phénomènes constatés.

Mais pour Job qui souffrait, cela ne suffisait plus. Peut-être avait-il été autrefois content de Dieu comme théorie, mais maintenant son engagement existentiel avec la douleur l’avait amené à désirer quelque chose de beaucoup plus profond. Job a envie d’une relation personnelle avec Dieu. Il croit que c’est seulement dans le contexte d’une telle rencontre que ses questions tourmentées puissent être résolues.

A maintes reprises, donc, nous l’observons en train de chercher ce type de relation. Nous le découvrons en train de prier, par exemple – des prières fâchées et amères, c’est vrai, mais des prières tout de même. Et nous ne voyons jamais les trois amis s’engager dans la prière. Car celui qui prie va bien au-delà de la réflexion théologique théorique et demande une audience concrète avec Dieu.

Et hors du creuset brûlant de ces prières, de temps en temps nous voyons en émerger une soudaine lueur d’assurance :

Dans 13:15, par exemple : « Bien qu’il me tue, néanmoins je me confierai en lui »

Job constate correctement que le simple fait qu’il a envie de parler avec Dieu témoigne de sa vertu essentielle. L’homme dont la conscience est troublée s’éloigne de Dieu autant que possible. Quand même, il désire vivement avoir des rapports avec Dieu. C’est ce désir ardent qui distingue Job de ses trois amis plus que toute autre chose et qui le soutient sous l’assaut impitoyable de leurs conseils cruels et hors de propos.

Ce n’est nulle part exprimé de façon plus émouvante que dans 23:3-10 :

« Oh ! si je savais où le trouver »

Voilà le Croyant, peut-être enfermé dans le château d’Incertitude et peut-être aveuglé par le vent d’Adversité une bonne partie du temps, néanmoins, de temps en temps, il parvient à entrouvrir ses paupières pour voir le soleil.

En effet, une fois, par cette fenêtre transitoire de révélation, il entrapercevoit quelque chose que très peu de gens dans l’Ancien Testament ont jamais vu – l’espoir de la vie au-delà de la mort, et quelqu’un qui plaiderait efficacement sa cause à la droite de Dieu, non dans cette vie, mais dans le monde à venir :

Car je sais que mon rédempteur est vivant, et qu’au dernier jour il se tiendra debout sur la terre. Et bien qu’après cette peau, des vers détruiront ce corps, toutefois en ma chair je verrai Dieu. Lequel je verrai pour moi-même; et mes yeux le contempleront, et non un autre ; encore que mes reins se consument en moi. (19:25-27)

De tels aperçus inspirés coupent le souffle à Job. Il sait que Dieu est insaisissable ; pour que Job le rencontre, Dieu doit donc se révéler. Job ne peut pas le trouver par ses propres efforts, car quelle que soit la direction qu’il choisit pour son voyage, il ne peut jamais découvrir le chemin de la demeure de Dieu. Mais, quelque insaisissable que soit Dieu, Job n’est plus satisfait du substitut des théories sur Dieu faites par l’homme. Seule une rencontre personnelle lui suffira maintenant.

Et, au point culminant du livre, c’est exactement ce que Dieu lui accorde :

38:1 « Alors le Seigneur répondit à Job du cœur de la tempête … »

Il est rapporté que Martin Luther a réprimandé Erasmus, l’érudit humaniste, ainsi : « vos pensées de Dieu sont trop humaines ». Un reproche semblable est au cœur de ces derniers chapitres. Une partie du problème de Job semble avoir été que, comme Erasmus, il avait été trop influencé par les rationalistes. Ces derniers s’étaient attendus à ce que la façon dont l’esprit de Dieu fonctionne serait intelligible pour l’esprit humain – comme la loi de gravité, les voies de la justice divine pouvaient être dénouées par l’esprit humain. Et Job accepte fondamentalement cette présupposition. C’est pour cette raison qu’il veut plaider sa cause avec Dieu comme un avocat – il s’attend à des explications rationnelles à ce qui se passe.

Mais ce qu’il trouve est qu’une telle interprétation de la souffrance n’est pas possible, et l’impossibilité engendre une dissonance cognitive tortueuse dans son esprit qui est à la base de toute sa confusion et de toute sa turbulence émotionnelle.

Cependant, l’ironie est que même s’il était possible d’expliquer la souffrance dans quelque cadre théologique rationnel, cette explication ne satisferait vraiment pas le besoin réel de nos cœurs. On serait tenté de l’appeler « une piètre consolation », car ce que Job découvrit par ses expériences dans le creuset de la souffrance est que les théories sur Dieu ne suffisent pas. Il désire vivement Dieu lui-même – l’expérience ressentie de Dieu en personne – quelque chose de plus profond que la simple philosophie de Dieu. Il aspire, non à lire dans les pensées de Dieu, mais à toucher son cœur !

Et dans ce chapitre 38 culminant, Dieu offre justement une telle rencontre. Il n’essaie pas de dénier l’innocence protestée par Job ; mais il ne cède pas non plus aux demandes de Job pour quelque sorte d’audition légale de son affaire. Il ne présente aucune compte rationnel de la souffrance de Job, aucune justification morale. Au lieu de cela, il noie simplement pauvre Job dans un déluge de questions rhétoriques et de défis ironiques.

« Tu as des questions ? Bon, j’ai également des questions pour toi : explique l’univers en moins de 500 mots avec des exemples » (38:4)

« Job comprend-il les forces fondamentales de l’univers ? demande-t-il. Peut-il l’emporter sur Stephen Hawking et dénouer le mystère de la création ? A-t-il voyagé aux coins du monde les plus reculés ? Peut-il maîtriser le climat ? Peut-il ranger les constellations célestes ? Surveille-t-il les animaux sauvages ? Peut-il dompter l’hippopotame puissant ou apprivoiser le crocodile féroce ? »

Le torrent de questions sans réponse possible s’éternise. Le poème entier est une grande exposition sur la merveille du monde de Dieu –employant une large variété d’illustrations, depuis la cosmologie jusqu’à la zoologie.

Quel est l’objectif de Dieu ? Essaie-t-il de rassurer Job qu’après tout, il y a un ordre rationnel dans l’univers ? Suggère-t-il qu’il y a un cadre de logique scientifique qui peut totalement expliquer tous les phénomènes et toute l’expérience de façon tout à fait satisfaisante à l’esprit humain ?

Non, bien au contraire, si l’on l’examine de près on découvre que justement ces aspects de la création témoignant de l’incompréhensibilité du monde de Dieu sont sélectionnés, aspects sans aucune pertinence par rapport à un quelconque but ultime que Dieu puisse avoir :

  • Pourquoi Dieu se soucierait-il des animaux sauvages – à quoi servent-ils ?
  • Quel est son intérêt dans les étoiles lointaines – pourquoi les créer ?
  • Pourquoi donc fabriquer un oiseau coureur aussi excentrique que l’autruche ?

Il y a tant dans la création qui semble aussi dénuée de sens que la souffrance de Job lui semble. Est-ce que cela veut dire qu’il n’y a aucune sagesse dans la création – ni aucun but ultime ? Évidemment que non – mais cela veut bien dire qu’en ce qui nous concerne – les êtres humains – c’est une sagesse impénétrable – un plan caché – un but secret.

C’est peut-être pourquoi Dieu lui répond du cœur de la tempête : un phénomène naturel de ce qui est l’antithèse exacte d’un système mathématique ordonné. La tempête représente l’anéantissement et l’imprévisibilité, et c’est hors du cœur de ce cyclone de chaos irrationnel que parle Dieu (38:40) :

Si tu crois avoir le droit de tout comprendre, pourquoi ne pas aller jusqu’au bout ? Revêts-toi d’omnipotence divine et gouverne l’univers toi-même ! Mais oui, je voudrais bien un jour de repos ! Prends les rênes un moment ! Si tu arriveras à faire cela j’admettrai volontiers que je t’ai sous-estimé. Une intelligence telle que la tienne aurait certainement dû être fournie d’une explication complète pour mes actes. Comment aurais-je pu être tellement négligent que j’ai laissé quelqu’un aussi sage que toi dans l’ignorance ! Mais alors, si tu pouvais gouverner le monde de cette manière, tu n’aurais besoin ni de mon soutien ni de mes explications, n’est-ce pas ? Car tu serais Dieu toi-même – ton propre créateur, ton propre libérateur. Tu « t’habillerais de splendeur et de gloire » – tu pourrais te sauver toi-même !

Dans les années 1930, George Bernard Shaw a écrit une apologie mordante de l’athéisme intitulée « Les aventures d’une jeune fille noire à la recherche de Dieu » (The Adventures of a Black Girl in Search of God). Dans un certain chapitre, il ridiculise Dieu, le qualifiant d’un « mauvais débatteur » qui essaie de s’empêcher d’échouer en employant deux ruses d’avocat anciennes :

  • « Quand vous manquez d’un argument, insultez l’opposition »
  • « Quand votre argument est faible, criez encore plus fort »

Job a demandé une explication au problème de la souffrance innocente : comment un Dieu juste peut-il la permettre ? Ce n’est pas de réponse valable, insiste Shaw, de se moquer de lui parce qu’il ne peut pas attraper un crocodile ! Ce n’est pas de réponse – c’est qu’un ricanement dédaigneux.

Il est facile de compatir à l’insatisfaction de Shaw. Pourtant, ironiquement, je soupçonne que la réaction de Shaw à ces derniers chapitres explique en grande partie pourquoi il était incroyant et n’aurait jamais pu être heureux au paradis.

Voyez-vous, comme Job, Shaw avait été éduqué dans un climat intellectuel qui était trop influencé par le rationalisme. Il voulait, lui aussi, que l’univers soit totalement explicable par l’homme. Tout recours au mystère était une échappatoire anti-intellectuelle et anti-scientifique.

Et tant que nous, comme Shaw, insisterons que Dieu nous doit une explication rationnelle de la manière dont il fait fonctionner son univers avant que nous soyons prêts à daigner croire en lui, la foi nous éludera toujours. Car un Dieu qui peut complètement s’expliquer à l’homme est, comme l’a dit Luther, « un Dieu trop humain ». Et un « Dieu humain » est en fin de compte un Dieu superflu. Qui aurait besoin d’un Dieu qu’on pouvait tout à fait comprendre ? On peut être son propre Dieu si on est aussi ingénieux que ça !

Bien sûr, Dieu de la Bible s’adresse à notre raison. En effet il nous donne un aperçu intellectuel des mystères de son esprit. Il a inspiré les prophètes à cette fin précise. Et à cause de cette révélation de l’esprit divin, nous pouvons oser prétendre comprendre quelque chose de Dieu. Nous pouvons même prétendre être « théologiens » – ceux qui étudient la science de la connaissance de Dieu. Mais si nous croyons que cela signifie que Dieu nous donna ou nous doit une explication totale à tout ce qui arrive, alors, ce n’est pas simplement que nous nous trompons, c’est que nous sommes affreusement orgueilleux : notre arrogance rationaliste nous amena à croire, comme Job, que nous puissions mettre Dieu au banc des accusés – quand, à vrai dire, c’est là notre place à nous – toujours et chaque fois.

Car nous sommes des créatures : il est notre Créateur. Cette asymétrie fondamentale met une limite à notre compétence théologique. Nous devons nous attendre à ce que nos théories vont parfois s’effondrer, et ce qui nous restera sera le choix entre l’incroyance ou le recours au mystère. Si ce n’était pas le cas, Dieu ne serait pas Dieu.

A ce moment-là, ce n’est pas notre intelligence qui est mise à l’épreuve, c’est notre humilité.

Job avait besoin d’être amené à une vue de lui-même plus humble, et de se rendre compte des limitations de sa propre compréhension et importance. A ce propos, remarquez la manière dont il parle dans le dernier chapitre (42:1-6). S’il y a un but révélé derrière sa souffrance dans ce livre, il se peut que ce soit là où on doit le chercher : dans ces mots « C’est pourquoi je me condamne et je me repens sur la poussière et sur la cendre ».

Avez-vous jamais dit de tels mots ?

Est-ce que vous, avec Job, avez jamais ressenti la majesté ineffablement merveilleuse de Dieu – une majesté qui nous lance aussitôt dans un sentiment humiliant de notre propre insignifiance, mais quand même, nous appelle simultanément par une extase interne mystérieuse à la communion personnelle ?

Job avoue qu’il avait théoriquement connu Dieu (« mon oreille avait entendu parler de toi ») ; mais la théorie n’avait pas suffi – non à l’heure de sa souffrance et de son deuil.

Vous constaterez la même chose. Il se peut que vous soyez né au sein d’une culture chrétienne, éduqué dans une école chrétienne, baptisé dans une église chrétienne, formé dans une université biblique évangélique – mais toute l’expérience religieuse et toute la connaissance théologique du monde ne signifieront rien pour vous si Dieu vous entraîne dans des circonstances contredisant les théories traditionnelles enseignées par la communauté chrétienne. En fait, notre expérience chrétienne devient une pierre d’achoppement dans de telles circonstances. Car, dans notre orgueil, celle-là nous fait penser que nous avons un droit à des explications – notre théologie devrait pouvoir se débrouiller ! Non, elle ne peut jamais surmonter le mystère profond de la souffrance :

« J’ai parlé d’un sujet trop ardu, je n’y comprenais rien et ne le savais pas ».

Il y a un million de choses que nous ne comprenons pas – plus la science découvre de nouvelles explications, plus elle pose de nouvelles questions. Et parmi ces questions insondables, cachée dans l’abîme des conseils éternels de Dieu, se trouve l’explication ultime au problème de la souffrance innocente.

(Je vous suggère que le but divin de l’orientation homosexuelle soit également caché dans ces conseils-là.)

Mais pour l’instant, de telles explications ne nous sont pas connaissables. Les chrétiens qui insistent qu’ils connaissent les explications ont tort. Et ils sont de mauvais conseillers parce que, comme les trois amis de Job, ils finissent par accuser à tort les innocentes afin de faire leurs fausses théories sembler valables.

Nous n’avons pas besoin d’être intimidés par eux. Car notre expérience anormale est en fait un privilège ; si nous y répondons correctement, elle peut nous amener à une entièrement nouvelle dimension de compréhension spirituelle.

Quand la douleur tourmente notre corps, quand les fantasmes qui ne sont pas bienvenus envahissent notre sommeil, lorsque des amis s’unissent pour nous condamner, lorsque la mort plane sur notre – alors, ce n’est pas un manuel de théologie que nous avons besoin de lire ; ce n’est même pas ce discours que nous avons besoin d’écouter !

Seule une rencontre personnelle avec le Dieu vivant suffira dans une telle situation : une rencontre qui va au-delà des théories intellectuelles de seconde main et parvient à l’expérience de première main de nos cœurs :

« Jusqu’à présent j’avais seulement entendu parler de toi. Mais maintenant, mes yeux t’ont vu. »

Il se peut que certains d’entre vous connaissent bien la poésie étrange et évocatrice de Gerard Manley Hopkins, le jésuite victorien. Sa poème majestueuse, Le naufrage du Deutschland, a été écrite à la suite d’une tempête en mer qui a coûté de nombreuses vies, y compris un groupe de religieuses. La nouvelle de leur mort a nettement horrifié Hopkins. Dans sa poème il se projette lui-même de façon imaginative dans la position d’une personne sur le pont du navire endommagé alors qu’ils font face à l’éventualité de la noyade imminente. Et à travers l’obscurité de cette anticipation terrifiante, il aperçoit, comme Job, non un tourbillon de chaos dénué de sens, mais le visage de majesté infinie :

Toi qui me domptes, Dieu
Qui donnes le souffle et le pain
Grève du monde, ondulation de la mer
Seigneur des vivants et des morts
Mes os et mes veines as-tu liés
Ma chair fixée
Et après qu’elle, apeurée, a presque défait ton œuvre.
Et me touches-tu à nouveau ?
Encore je sens ton doigt
Et te trouve.

En ces vers forts, Hopkins avoue qu’en fin de compte, comme Job, il n’a pas d’explications. Au lieu de cela, il a découvert à quel point il est impertinent de croire avoir le droit de demander des explications. Comme Luther, il s’est humblement rendu compte de l’absurdité de croire en un « Dieu trop humain ».

Naturellement, la raison humaniste n’acceptera jamais cela. Dans son arrogance elle est trop prométhéenne pour se mépriser et pour repentir sur la poussière et sur la cendre. Voilà pourquoi c’est idolâtre. Voilà pourquoi Dieu doit la juger.

Mais croyez-moi. Non – croyez Job. La seule façon dont l’âme souffrante puisse trouver de la paix – le seul endroit où des créatures de la poussière telles que nous puissent s’attendre à trouver Dieu – est dans l’humilité.

Peut-être que vous trouverez cette expérience dans votre tempête privée comme l’a fait Job. Ou bien peut-être que vous la trouverez, comme l’ont fait certains d’entre nous, au pied de la croix. Notre foi chrétienne, basée sur le Nouveau Testament, et la foi de Job, basée sur l’Ancien Testament, mettent l’accent sur des points différents. Je crois que Job avait envie de découvrir l’autre point de vue, et il se peut qu’il l’ait entraperçu de temps en temps avec pénétration prophétique. Notre foi centre sur la souffrance. Nous révérons un homme au supplice, pendu à une croix – un homme vertueux dont l’innocence était plus dignement révolté par le caractère immérité de sa souffrance que Job aurait jamais pu être. Un homme qui a terriblement souffert – encore plus terriblement que Job – jusqu’à la mort. Et qui a crié pendant ses derniers moments, comme Job, « Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »

Il est étrange que nous considérions cela comme le centre de notre foi – car n’avons-nous sûrement pas argumenté qu’une telle vision devrait être au-dessus de toute chose qui contredit la foi ?

Mais non – voilà le dernier paradoxe, où le cœur découvre ses raisons que la raison ne peut pas connaître.

Au pied de la croix :

  • nous trouvons le visage humain de Dieu que Job a tellement voulu voir
  • nous découvrons l’espoir au-delà de la mort que Job a tellement voulu posséder

C’est là où, plus choquant et quand même plus réconfortant que tout autre mystère divin, nous trouvons un Dieu qui souffre avec nous – mais non, encore mieux, un Dieu qui souffre pour nous.

Nous faisons comme si c’étaient des explications que nous cherchons, mais ce n’est vraiment pas le cas, pas au moment critique. C’est l’assurance que Dieu est à nous – que nous appartenons à lui et lui à nous – que nous avons vraiment envie de posséder. Car après avoir reçu cela, nous pouvons endurer tout.

Voilà le miracle que nous voulons – et au pied de la croix, c’est le miracle que nous obtenons.

© Roy Clements. Tous droits réservés.

dimanche 23 novembre 2008

La foi évangélique et l’homosexualité

Un discours prononcé par le Dr Ralph Blair,
fondateur d’Evangelicals Concerned, Inc.,
au Princeton Theological Seminary
21 mars 2003

Voici ce qui est si évident à première vue : parmi tous les chrétiens, il se peut que les Evangéliques aient le plus de difficultés à intégrer n’importe quelle expression de l’homosexualité avec la foi chrétienne. Mais voici ce qui n’est pas si immédiatement évident : parmi tous les chrétiens, les Evangéliques devraient avoir le moins de difficultés à intégrer au moins une certaine expression de l’homosexualité avec la foi chrétienne.

Pourquoi tant d’Evangéliques ont-ils de telles difficultés ? C’est peut-être parce qu’ils ont tendance à ne prendre au sérieux ni le péché ni l’Evangile autant qu’ils le prétendent ? Ils n’auraient pas autant de difficultés s’ils prenaient le péché et l’évangile aussi sérieusement qu’ils le devraient.

Les Evangéliques affirment que le péché est tellement horrible qu’il a coûté la vie à Jésus sur la croix. Et il l’est en effet. Et il a en effet coûté la vie à Jésus. Jésus est mort sur la croix pour expier l’horreur du péché de ce monde – y compris le viol, l’excès sexuel et l’orgueil sexuel. Mais pense-t-on vraiment que Jésus a pris le chemin de la croix pour expier une expression affectueuse d’une psycho-sexualité non choisie? Est-il venu mourir parce qu’un couple fidèle et de même sexe dort et mange ensemble, et fait la vaisselle ensemble ?

Les Evangéliques prêchent que le sacrifice du Calvaire l’emporte sur tout. Et c’est vrai. Il l’emporte sur tous les péchés du monde, que ce soient les horreurs de cruauté si facilement considérées comme des péchés ou les horreurs de religiosité difficilement considérées comme des péchés. De plus il l’emporte sur les conséquences du péché : la mort, « le salaire du péché », et l’enfer lui-même. Jésus est mort afin que les pécheurs puissent être sauvés du péché, de la mort et de l’enfer.

Cependant, dans la rhétorique anti-gay, il paraîtrait que Jésus est mort pour expier un simple détail anatomique. C’est ce que fait un couple avec deux pénis ou deux vagins plutôt que ce que fait un autre couple avec un pénis et un vagin qui constitue le péché dans l’argument anti-gay. Comme le soutient un antagoniste évangélique : « la complémentarité des organes sexuels mâles et femelles » est l’accusation « la plus claire » contre l’homosexualité. [Robert A. J. Gagnon] Mais, bien sûr, la complémentarité sexuelle est un peu plus compliquée que des jeux de construction ! Dans l’attraction hétérosexuelle comme dans l’attraction homosexuelle, ce qui fait deux personnes s’attirer est l’altérité fascinante perçue dans le personnage entier de l’autre, pas la forme de leurs organes génitaux. D’ailleurs, même dans l’aspect physique des relations sexuelles, beaucoup plus que les mécanismes génitaux est impliqué. Un autre Evangélique anti-gay affirme que sans une telle dissimilitude anatomique, les « rapports sexuels de même sexe perdent la dimension symbolique de deux-devenant-un qui est présente dans les rapports sexuels mâles/femelles ». [Stanley J. Grenz] Mais il n’apprécie pas la complexité du phénomène d’une-seule-chair, une union qui porte sûrement plus sur deux êtres humains que sur deux détails anatomiques. Le « péché » de l’homosexualité se réduit alors à une question de conformité anatomique sans différencier l’expression d’amour et de violence sexuelle. Dans chaque cas le « péché » demeure dans l’élément de même sexe, point final. Ce n’est guère une approche satisfaisante même à l’égard du péché sexuel.

Les Evangéliques sont des gens de la Bonne Nouvelle – l’euangelion du Nouveau Testament. C’est le mot grec dont ‘évangélique’ dérive. Selon un érudit biblique évangélique, les termes ‘évangélique’ et ‘évangélicalisme’ sont « les plus utiles quand ils s’en tiennent à leur étymologie dans l’Evangile, la Bonne Nouvelle, que Dieu ‘avait promis par ses prophètes dans les saintes Ecritures concernant son fils Jésus-Christ,’ (Rom 1:2,3) en supposant qu’on tient un tel ‘Evangile’ avec fermeté et sincérité de cœur. Par suite, le christianisme évangélique comme mouvement doit être vu comme déterminé par son centre, non par ses extrêmes – et même ce centre doit, vu sa propre confession, être constamment testé par l’étude des Ecritures saintes ». [D. A. Carson] Un historien évangélique ajoute : « en dehors d’une foi en commun dans un évangile surnaturel, les croyances théologiques des Evangéliques divergent de façon significative ». [Mark Knoll] En fait, selon le président du Southern Baptist Seminary et un historien de l’Eglise au Westminster Seminary : « une seule tradition évangélique n’existe pas ». [Albert Mohler, Jr. et D.G. Hart] Si ces observations sont précises en général, comment soutenir que – pour ce qui est d’une expression affectueuse et fidèle de l’orientation homosexuelle – la foi évangélique exige, d’une façon ou d’une autre, une condamnation virulente ?

L’ignorance joue sans doute un rôle dans l’opposition à l’homosexualité. Et bien que l’ignorance honnête puisse être remédiée par de meilleure connaissance de la Bible, de la science et de l’expérience humaine, l’ignorance volontaire est immunisée contre toutes les données. Le pharisaïsme joue aussi un rôle. Mais on peut se repentir du pharisaïsme et être pardonné par la grâce de Dieu.

L’opposition à l’homosexualité des chrétiens conservateurs peut s’expliquer tout autant par l’allégeance aux programmes sociopolitiques de la droite, partagée par les sécularistes de droite, que que par une quelconque raison reliée au christianisme. Peut-être que c’est simplement une question de succomber à un Zeitgeist suffoquant !

Mais à moins que le péché ne soit vu en tant que quelque chose bien plus sinistre qu’une juxtaposition de terminaisons nerveuses de la peau qui exprime une affection profonde entre deux personnes de même sexe engagées à s’aimer l’une l’autre – l’homosexualité restera un obstacle pour ces gens. Et ceux-ci resteront des obstacles pour les homosexuels, que ce soient eux qui ont besoin d’entendre l’Evangile du Christ et d’y répondre ou ceux qui, ayant entendu et affirmativement répondu à l’Evangile, sont maintenant avertis que l’Evangile ne suffit tout bonnement pas dans leur cas.

Et à moins que la grâce de Dieu en Christ ne soit vue en tant que quelque chose bien plus puissamment précieux qu’un antidote moraliste à une telle juxtaposition de terminaisons nerveuses – l’homosexualité restera un obstacle pour ces gens. Et ceux-ci resteront des obstacles pour les homosexuels, que ce soient eux qui ont besoin d’entendre l’Evangile du Christ et d’y répondre ou ceux qui, ayant entendu et affirmativement répondu à l’Evangile, sont maintenant avertis que l’Evangile ne suffit tout bonnement pas dans leur cas.

Voici une autre chose évidente : les factions ecclésiastiques de la gauche semblent n’avoir aucune difficulté à intégrer presque toute expression d’homosexualité avec la foi chrétienne. Voici ce qui n’est peut-être pas si évident : la facilité avec laquelle les factions ecclésiastiques de gauche s’alignent avec n’importe quelle cause LGBT peut s’expliquer tout autant par l’allégeance aux programmes sociopolitiques de gauche, partagée par les sécularistes de gauche, que par une quelconque raison reliée au christianisme. Peut-être que c’est simplement une question de succomber au Zeitgeist suffoquant !

On me pose souvent des questions sur la lutte personnelle que j’aurais eue il y a un demi-siècle en tant qu’adolescent né de nouveau pour essayer d’assumer mon homosexualité. Je suis toujours inquiet que ma réponse – je n’ai vraiment jamais eu de difficultés – puisse sembler dure en raison des épreuves sérieuses subies par tant de gens de nos jours. Pourquoi est-ce que moi, je n’avais pas une telle angoisse à l’âge de 16 ans au milieu des années 50 – et puis au Bob Jones University ? Pourquoi est-ce que j’avais tellement peu de gêne avec l’homosexualité comme officier de l’InterVarsity à une université publique et pendant mes années aux séminaires de Dallas et de Westminster ? Et, faisant partie de personnel d’InterVarsity à Yale en 1964, comment est-ce que je pouvais parler en faveur de l’homosexualité tellement franchement et affirmativement qu’on ne m’a pas invité l’année suivante ?

De nos jours, de jeunes Evangéliques sortent du placard après des décennies d’une société progressivement plus tolérante envers l’homosexualité. Et ils sont remplis de peur, douleur, frustration et colère. Ils déchaînent leur rage contre leur éducation dans le christianisme évangélique. Beaucoup d’entre eux sont tellement furieux qu’ils « jettent le bébé avec l’eau du bain ». Ils ne veulent plus du tout être associés aux Evangéliques. Mais leur amertume témoigne d’un amour non réciproque. Et tristement, ils se laissent prendre par n’importe quel type de spiritualité superficielle et fausse à condition qu’elle soit pro-gay.

Qu’attendre d’autre ? Pour un adolescent ayant un désir homosexuel de plus en plus puissant et involontaire, ainsi qu’une incapacité croissante de contrôler les contradictions cognitives dans lesquelles l’expérience psycho-sexuelle est en désaccord avec l’enseignement de son église locale selon laquelle ce désir envers le même sexe est un « choix » vers « l’abomination », il lui faudra abandonner l’un ou l’autre. Et ce ne sera pas ce qui est involontaire. Il abandonnera ce qui a été choisi – l’église évangélique qui était autrefois un tel refuge des bonnes nouvelles, mais dont il s’est maintenant aliéné parce qu’elle prêche que son désir spontané d’intimité est strictement interdit. Par ailleurs si cette église pouvait tellement se tromper sur ce qu’elle déclare au sujet de l’expérience personnelle d’envies profondes et constantes, comment est-ce qu’une jeune personne peut-elle avoir confiance en cette église pour avoir raison sur ce qu’il n’est pas possible de connaître simplement par expérience – les doctrines de Dieu, du Christ, du salut et ainsi de suite ? C’est un peu ce que les jeunes Evangéliques qui sont gay affrontent de nos jours.

Quels facteurs contribuent à la différence entre ma propre facilité relative dans le passé et l’angoisse de ceux qui sortent du placard de nos jours ?

Le plus significatif, c’est qu’il y avait la présentation claire de l’Evangile pur que j’entendais pendant mon enfance. La bonne nouvelle était l’invitation à venir au Christ. Mais comment ? D’après les paroles de Charlotte Elliott, auteur anglican d’hymnes, chantées à la fin de chaque réunion de Billy Graham : « Tel que je suis, sans rien à moi, sinon ton sang versé pour moi, et ta voix qui m’appelle à toi, Agneau de Dieu, je viens, je viens ! » Jean 3:16 – pur et simple ! Cette prédication n’a pas été encombrée avec toutes les adjonctions sociopolitiques d’une Droite Religieuse fâchée. Naturellement on a enseigné une norme morale. Mais les enseignements étaient d’accomplir ou de ne pas accomplir des actes de bonté rigoureuse, en reconnaissance de la bonté de Dieu. La norme morale n’a pas souillé mon être vrai.

Pendant les années 50 il n’y avait aucun modèle chrétien qui était ouvertement gay ou lesbienne. Mais peu importait. J’avais beaucoup de modèles pour être un chrétien ! Et voilà ce qui avait de l’importance. J’étais chrétien, et il se trouvait que j’étais attiré par quelques personnes du même sexe que moi. D’accord ? Je croyais en l’évangile du Christ, simple mais profond, au pied de la lettre, et puis j’ai découvert les détails. Quoi que j’aie trouvé du légalisme mesquin et du pharisaïsme, je les considérais contraires à l’évangile et contraires à l’amour vaste du Christ, et au mode de vie chrétien et réaliste à laquelle il nous appelle.

Il y a également de nos jours une mentalité chagrinée et exagérée de victime qui est très à la mode. Et elle est liée avec un sens de privilège exagéré dans lequel tellement est interprété en termes de ses propres droits seulement. Ceux qui sortent du placard de nos jours sont aisément victimes de cette hypersensibilité et cette hypervigilance de la politique égocentrique d’identité autant qu’ils sont des victimes de l’homophobie et de l’hétérosexisme qui en font également partie.

Une telle façon égocentrique de voir engendrera certainement des sentiments de douleur, peur, frustration et colère. Aggravant le problème, ces sentiments sont éprouvés au sein d’une communauté où ils sont plus privilégiés que l’analyse cognitive. En essayant de contrôler les sentiments de douleur, peur, frustration et colère basés sur des interprétations de l’oppression, on se met en rage. Et un tel dégagement émotif est encouragé, voire programmé, au sein du mouvement LGBT. Mais cette approche ne fait que renforcer la douleur, la peur, la frustration et la colère, et on demeure emprisonné dans une explosion de rage impuissante, exigeant que d’autres soient blâmés et que d’autres réparent ce qu’ils ne veulent pas beaucoup réparer.

Sans essayer de changer la manière dont d’autres gens nous traitent, toujours une tâche délicate voire impossible, pouvons-nous changer la manière dont nous nous traitons nous-mêmes ? Est-ce que nous pouvons nous ramener nous-mêmes à la raison au lieu d’essayer de les ramener à la raison ? Du moins pouvons-nous commencer à nous ramener à la raison tout en essayant de les ramener à la raison ?

Assurément il doit y avoir une meilleure façon d’aborder le sujet de l’homosexualité que celle que la plupart des Evangéliques ont trouvée jusqu’ici. Et il y en a. C’est la vraie voie ancienne de l’Evangile à laquelle l’Eglise a dû revenir maintes fois à la suite de détours négligents et dangereux.

Paul a souligné l’évangile pur de la grâce salvatrice de Dieu, et de la justification par foi en Jésus Christ seul, en dehors de toute distinction conventionnelle. Particulièrement pertinent pour nous est ce qu’il a écrit dans Romains 1 et 2, Romains 14, Galates 3 – et dans ces mots inestimables de Romains 8. Il y a maintenant presque trois décennies que nous les imprimons en haut de notre bulletin d’EC : « Oui, j’en ai l’assurance, ni mort ni vie, ni anges ni principautés, ni présent ni avenir, ni puissances, ni hauteur ni profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus notre Seigneur. » (Rom 8:38-39) Au fait, il n’y a aucune preuve écrite confirmant la rumeur que Paul aurait ajouté : « Oh, j’ai oublié quelque chose – rien sauf toute forme d’homosexualité ! »

Pour moi, la véritablement bonne nouvelle de l’Evangile du Christ l’a toujours emporté sur les piètres substitutions égoïstes qu’on fournit – que ce soient dans les cercles fondamentalistes et libéraux, ou dans la Droite Religieuse et la Gauche LGBT où l’homosexualité est une véritable obsession. Comme l’exprime sagement D. L. Moody, évangéliste du 19e siècle : « Regardez ce qu’il est, et ce qu’il a fait, non ce que vous êtes, et non ce que vous avez fait. C’est là le moyen de trouver la paix et le repos ».

Les résultats d’un sondage Gallup montrent que 46 pour cent d’Américains indiquent être « Evangéliques » ou « nés de nouveau ». Donc, des millions d’homosexuels et leurs familles sont obligés d’affronter l’homosexualité en rapport avec la foi chrétienne évangélique. Et quoique la plupart pensent qu’ils opèrent avec des vérités données par Dieu, ils ont une compréhension lamentablement faible non seulement de l’homosexualité, mais aussi de la foi évangélique. Car, comme déjà indiquée, leur supposition qu’une position anti-gay soit un principe de base du christianisme évangélique, comme tel, est erronée.

Et donc je ferais appel aux autres Evangéliques pour examiner de plus près ce qu’ils croient connaître de l’homosexualité et ce qu’ils croient connaître de la foi chrétienne. Prenons au sérieux l’évangile et ne le reléguons pas à juste un mantra. Prenons au sérieux le péché et ne le réduisons pas à une simple question de conformité anatomique. Soyons des disciples de Jésus, fidèles à la Bible sans justifier quelques versets bibliques, pauvrement compris, hors de toute proportion à l’appel clair de Jésus pour un amour reconnaissant pour Dieu et un rigoureusement généreux amour pour notre prochain. Et regardons en nous-mêmes plus honnêtement, afin que nous puissions voir les besoins des autres dans nos besoins, leurs fautes dans nos fautes et même leurs faiblesses dans nos faiblesses et, confrontés à des hostilités, que nous suivions Son exemple de sacrifice de soi et trouvions la solution par la croix du Christ, le seul Seigneur et Sauveur qui soit.

© Ralph Blair, tous droits réservés (traduction : F.W.)

La Bible est un placard vide

(The Bible Is An Empty Closet)

par Ralph Blair

« Les questions relatives à l’homosexualité sont très complexes et ne sont pas comprises par la plupart des membres de l’Église chrétienne », affirme Bernard Ramm du American Baptist Seminary of the West. Cet érudit évangélique de l’interprétation biblique l’indique : « Pour eux, elle est une forme abjecte de perversion sexuelle condamnée tant dans l’Ancien que dans le Nouveau Testament ». Mais comme le dit Marten H. Woudstra, spécialiste de l’Ancien Testament au Calvin Theological Seminary : « Il n’y a rien dans l’Ancien Testament qui corresponde à l’homosexualité comme nous la connaissons aujourd’hui » et selon Victor Paul Furnish, spécialiste du Nouveau Testament au Southern Methodist University : « Il n’y a aucun texte se référant à l’orientation homosexuelle dans la Bible ». Comme le constate Robin Scroggs de l’Union Seminary : « Les jugements bibliques contre l’homosexualité ne sont pas adaptés au débat actuel. On ne devrait plus les employer … non parce que la Bible n’est pas l’autorité définitive, mais simplement parce qu’elle ne traite pas les questions soulevées. … Aucun auteur du Nouveau Testament ne considère [l’homosexualité] assez importante pour donner sa propre opinion sur le sujet ». Comme l’exprime Helmut Thielicke, théologien évangélique : « On est libre de discuter de ... l’homosexualité ... seulement quand on se rend compte que même le Nouveau Testament manque d’une déclaration normative évidente en ce qui concerne cette question. Même le type de question auquel nous sommes arrivés ... doit être, pour des raisons purement historiques, étranger au Nouveau Testament ».

Les idées et les compréhensions de la sexualité ont beaucoup changé au cours des siècles. Ceux qui vivaient dans les périodes bibliques ne partageaient pas notre connaissance des différentes pratiques sexuelles; nous ne partageons pas leur expérience. À cette époque il n’y avait aucun rendez-vous amoureux comme nous le connaissons aujourd’hui; les pères arrangeaient les mariages. Les anciens, comme le constate David Halperin du Massachusetts Institute of Technology, « concevaient la ‘sexualité’ en termes non-sexuels : ce qui était fondamental dans leur expérience sexuelle n’était pas quelque chose que nous considérerions comme essentiellement sexuel : plutôt il s’agissait de quelque chose d’essentiellement social – à savoir, les catégories des relations de pouvoir qui ont nourri et ont structuré l’acte sexuel ». Dans le monde antique, le sexe n’est « pas intrinsèquement relationnel ou accompli en collaboration; il est, de plus, une expérience profondément polarisante : il sert à séparer, classifier et à répartir ses participants en catégories distinctes et radicalement dissemblables. Le sexe possède cette capacité, apparemment parce qu’il se conçoit comme étant à la fois concentré essentiellement sur et défini par un geste asymétrique – la pénétration du corps d’une personne par le corps, et, spécifiquement, par le phallus d’une autre. [Pour un citoyen] les cibles appropriées du désir sexuel comprennent, en particulier, la femme, le garçon, l’étranger, et l’esclave – dont tous ne possèdent pas les mêmes droits et privilèges légaux et politiques que lui ». Dans des études sur le sexe dans l’histoire, John Winkler, spécialiste de l’Antiquité Classique au Stanford University, nous déconseille de « trouver des questions et problèmes politiques contemporains se cachant dans des textes et des objets antiques sortis de leur contexte social ». Bien sûr, voici un principe de base de l’herméneutique (interprétation) biblique. Cependant, quelques prêcheurs continuent encore à employer certains versets bibliques pour attaquer les lesbiennes et les gays. Examinons de plus près ces versets.

Genèse 1,27

« Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa ».

Ce verset célèbre la création délibérée et égale par Dieu des personnes qui sont masculines et celles qui sont féminines. Un tel sens de création égale entre les sexes n’était pas typique dans le monde antique. Comme le constate Douglas J. Miller, professeur au Eastern Baptist Seminary : « On aurait tort de chercher … dans les premiers chapitres de la Genèse … des idées grossières de la loi naturelle. ... Cette approche [soutient] le modèle éthique ‘physique’ sur lequel l’hétérosexisme est établi. ... Cette approche de la création se base sur l’anachronisme évident créé par l’introduction des définitions de la nature du 13e siècle dans des textes hébraïques antiques. » Ceux qui emploient Genèse 1,27 contre les homosexuels devraient constater la déclaration dans Galates 3,28 où Paul insiste qu’il n’y a plus de signification théologique à la paire hétérosexuelle « homme et femme ». D’après F.F. Bruce, érudit Pauline évangélique : « Ici Paul énonce le principe fondamental; si des restrictions à cet égard sont trouvées ailleurs … elles doivent être comprises par rapport à Galates 3,28, et non vice versa ».

Genèse 19 (cf. 18,20)

L’histoire de Sodome et de l’obligation de Loth d’être hospitalier envers ses invités.

Selon William Brownlee, érudit biblique évangélique : « Dans la Genèse la ‘sodomie’ (supposée) est essentiellement l’oppression des faibles et des impuissants; et l’oppression de l’étranger est l’élément essentiel de Genèse 19,1-9 ». John Boswell du Yale University le constate : « Sodome est employé comme symbole du mal dans des douzaines de passages [de la Bible] mais le péché des Sodomites n’est qualifié d’homosexualité dans aucun exemple ». Écoutez le prophète Ezéchiel (16,48-49) au sujet du péché de Sodome : « Par ma vie, oracle du Seigneur Yahvé ... Voici quelle fut la faute de Sodome ta sœur : orgueil, voracité, insouciance tranquille, telles furent ses fautes et celles de ses filles; elles n'ont pas secouru le pauvre et le malheureux, elles se sont enorgueillies et ont commis l’abomination devant moi ». (cf. Mt 10,15) Les hommes de Sodome ont essayé de dominer les étrangers à la maison de Loth en les soumettant à l’abus sexuel. La motivation pour une telle tentative de viol collectif est l’humiliation et la violence, non l’affection homosexuelle.

Lévitique 18,22 (20,13)

« Tu ne coucheras pas avec un homme comme on couche avec une femme. C’est une abomination ».

« Abomination » (TO’EBAH) est un terme technique cultique qualifiant celui qui est rituellement impur, comme le tissu mixte, le porc, et les rapports sexuels avec des femmes en menstruation. Ce terme n’a pas de rapport avec un problème de morale ou d’éthique. Ce Code de Sainteté (chapitres 17-26) interdit à un homme de coucher « avec un homme comme on couche avec une femme ». On considérait comme pollution un tel mélange des rôles sexuels. Mais même Jésus et Paul ont tous deux rejeté toutes ces formes de distinctions rituelles. (Cf. Mc 7,17-23; Rom 14,14&20) Le Fundamentalist Journal avoue que ce Code condamne « les pratiques idolâtres » et « l’impureté rituelle » et conclut : « aujourd’hui nous ne sommes pas tenus par ces commandements ».

Deutéronome 23,17-18

« Il n’y aura pas de prostituée sacrée parmi les filles d’Israël, ni de prostitué sacré parmi les fils d’Israël ».

Ces termes, KEDESHA et KADESH, signifient littéralement « saint » ou « sacré ». Il n’y a aucun dérivé hébreu du mot « Sodome » dans cet extrait; la Bible anglaise « King James » l’a erronément traduit. Ici les mots hébreux font référence aux prêtresses-prostituées « sacrées » (féminines et d’eunuques) des cultes cananéens de fertilité, qu’Israël devait à tout prix éviter. D’ailleurs, comme le constate George R. Edwards, érudit biblique du Louisville Presbyterian Seminary : « Aucun prophète n’emploie le substantif signifiant ‘prostituée masculine de culte’ ni parle de l’activité d’une telle personne. En fait, au sujet d’actes homosexuels, les prophètes sont aussi silencieux que la tradition entière de l’enseignement de Jésus dans le Nouveau Testament. C’est », soutient-il, « un silence très significatif ».

Romains 1,26-27

« Aussi Dieu les a-t-il livrés à des passions avilissantes : car leurs femmes ont échangé les rapports naturels pour des rapports contre nature ; pareillement les hommes, délaissant l’usage naturel de la femme, ont brûlé de désir les uns pour les autres, perpétrant l’infamie d’homme à homme et recevant en leurs personnes l’inévitable salaire de leur égarement ».

Se tournant vers les écritures de Paul, V.P. Furnish éclaire la question : « Puisque Paul n’a offert aucun enseignement direct à ses propres églises concernant le comportement homosexuel, il est certain que ses lettres ne peuvent produire aucune réponse spécifique aux questions qui se posent à l’église moderne. ... Pour Paul, ni la pratique de l’homosexualité, ni la promiscuité hétérosexuelle, ni n’importe quel autre vice spécifique n’est défini en tant que tel comme étant un ‘péché.’ À son avis le péché fondamental dont tous les maux particuliers découlent est l’idolâtrie – l’adoration de ce qui est créé plutôt que le Créateur, soit une idole en bois, soit une idéologie, soit un système religieux, soit un certain code moral particulier ».

Dans Romains 1, Paul ridiculise la rébellion religieuse païenne, en disant qu’ils connaissaient Dieu mais adoraient des idoles plutôt que Dieu. Pour construire son raisonnement, ce qu’il tournera contre les moralisateurs juifs au 2e chapitre, il fait allusion aux pratiques typiques des cultes de fertilité impliquant des pratiques sexuelles entre des prêtresses, et entre des hommes et des eunuques-prostitués comme ceux qui servaient la déesse Aphrodite en Corinthe, d’où il a écrit cette lettre aux Romains. Leurs rites d’auto-castration ont eu comme conséquence une « pénalité » corporelle. Comme l’explique Catherine Krueger dans le Journal of the Evangelical Theological Society : « Les hommes portaient des voiles et les cheveux longs pour indiquer leur dévotion envers la déesse, alors que les femmes employaient le dévoilement et les cheveux courts pour indiquer la leur. Les hommes se faisaient passer pour des femmes, et dans une peinture rare sur un vase de Corinthe, une femme porte un pantalon de satyre équipé de l’organe masculin. Ainsi elle danse en présence de Dionysos, une déité qui avait été élevée comme une fille et était elle-même appelée mâle-femelle et ‘homme simulé’ ». Krueger poursuit : « Le changement de sexe qui caractérisait les cultes de telles grandes déesses comme Cybèle [Aphrodite, Ishtar, etc.], la déesse syrienne, et Artemis d’Éphèse était plus effroyable. Les mâles se sont volontairement châtrés et ont porté des vêtements de femmes. Un bas-relief de Rome dépeint un grand-prêtre de Cybèle. Le prêtre châtré porte un voile, des colliers, des boucles d’oreille et une robe féminine. Il est considéré comme ayant échangé son identité sexuelle et comme étant devenu une prêtresse ». Comme tels, ces prostitués religieux s’engageaient dans des orgies de même sexe dans les temples païens tout au long des côtes parcourues par Paul au cours de ses voyages missionnaires. « Le concept de l’homosexualité compris par Paul », comme l’indique Thielicke, « était un de ceux affectés par l’atmosphère intellectuelle entourant la lutte avec le paganisme grec ». Scroggs remarque : « les illustrations sont secondaire à la structure théologique élémentaire [de Paul] » (cf. 3,22b-23, la sommaire de Paul), et Furnish ajoute : « la pratique de l’homosexualité en tant que telle n’est pas le sujet de discussion ». Ce que décrit Paul dans le premier chapitre de Romains, ne s’agit-il pas des orgies païennes qu’il cherche à ridiculiser plutôt que l’amour et le soutien mutuel dans la vie domestique des lesbiennes et des gays d’aujourd’hui?

1 Corinthiens 6,9 & 1 Timothée 1,10

Les références de Paul à malakoi et à arsenokoitai.

Gordon D. Fee, professeur évangélique du Nouveau Testament au Regent College, est d’avis que ces deux termes sont « difficiles ». Le Fundamentalist Journal l’admet : « Il est difficile de traduire ces mots ». Concernant arsenokoitai, Fee le constate : « C’est la première apparition en littérature préservée, et les écrivains suivants sont peu disposés à l’employer, particulièrement pour la description de l’activité homosexuelle ». Scroggs l’explicite : « Paul ne fait allusion qu’à des pédérastes. … Il n’y avait aucune autre forme d’homosexualité masculine dans le monde Greco-Romain qui pourrait venir à l’esprit ». Les sources antiques indiquent que les malakoi étaient des garçons-prostitués efféminés. Bien que Paul semble avoir inventé arsenokoitai, ce terme se réfère, peut-être, aux clients des garçons-prostitués, bien que personne ne puisse être ici affirmatif. Toutefois, l’essentiel est clair : les chrétiens qui se diffament et s’intentent des procès dans les tribunaux païens les uns contre les autres sont aussi honteux que des voleurs, des ivrognes, des gloutons, et les malakoi et les arsenokoitai (quels qu’ils soient). L’autre sorte de pédéraste au temps de Paul était un adulte mâle qui exploitait sexuellement des esclaves qui étaient ses « mignons ». Les garçons désirés étaient pré-pubères ou au moins imberbes de sorte qu’ils ressemblaient à des femmes. Ces hommes se mariaient avec des femmes pour percevoir une dot, procréer et pourvoir à l’éducation des héritiers. Pour le sexe ils avaient des « mignons » – ce qui est éloigné de l’image des couples homosexuels d’aujourd’hui.

La Bible est un placard vide. Elle n’a rien de spécifique à dire au sujet de l’homosexualité en tant que telle. Mais la Bible a beaucoup à dire au sujet de la grâce de Dieu pour tout le monde et de Son appel à la justice et compassion. Jésus a résumé la loi de Dieu dans ces mots de l’Écriture Sainte : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. … [et] tu aimeras ton prochain comme toi-même ». (Mt 22,37-39)

© Ralph Blair, tous droits réservés (Traduction : Fred Wells)

vendredi 21 novembre 2008

La force de la faiblesse

2 Corinthiens 11:16 – 12:1o

Roy Clements présenta ce discours à la conférence d’Evangelicals Concerned (région occidentale) en juillet 2002. C’était originairement tiré de son livre du même titre.


Je voudrais vous parler des dangers d’être trop spirituel.

Vous croyez peut-être que c’est quelque chose d’assez inattendu voire répréhensible à vouloir discuter. Bien sûr, tout chrétien devrait aspirer à être aussi spirituel que possible, n’est-ce pas ? Néanmoins, je crois que mon désir de discuter de ce sujet est bien justifié, parce que dans sa deuxième lettre aux Corinthiens, l’apôtre Paul met ses lecteurs en garde contre justement la même chose.

Un groupe d’étrangers était entré dans l’église corinthienne et avait rapidement commencé à dominer. Nous ne savons pas exactement qui ils étaient. Il est très difficile de les associer avec aucune hérésie connue dans l’église primitive ; en fait, il n’y a pas la moindre indication que leur doctrine n’était pas tout à fait orthodoxe. Tout ce qu’on peut dire en toute certitude, c’est qu’ils étaient juifs, qu’ils se conféraient à eux-mêmes le titre d’« apôtre » et – le plus important – qu’ils n’aimaient pas Paul.

Pourquoi cette animosité ? Aussi curieux que cela nous paraisse, leur problème fondamental avec Paul était qu’il n’était pas assez spirituel ; il était tout simplement trop… normal ! Vous vous demandez peut-être pourquoi être normal serait un problème. Eh bien, c’est là où il est important de comprendre la culture du monde helléniste. Paul était un chef spirituel, un chef qui, autrement dit, était censé être en contact avec Dieu. Et les Grecs nourrissaient d’exceptionnellement hautes espérances d’une telle personne.

Quelqu’un ayant Dieu de son côté devait être doté d’une personnalité éblouissante. Par exemple, il avait peut-être une réputation pour des exploits miraculeux, comme Hercule, l’héros de la mythologie grecque, qui, aidé par des forces surnaturelles, sortit victorieux et indemne de toutes sortes d’épreuves et de difficultés. Ou bien un chef spirituel pouvait être quelqu’un ayant des visions ou des expériences occultes, comme l’oracle célèbre de Delphi dans l’antiquité. Ou peut-être qu’un chef spirituel pouvait même établir une réputation fondée sur une origine exotique, comme les prêtres des religions nouvellement populaires de l’Orient.

Que ce soit par ses actes héroïques, par ses expériences mystiques ou par ses origines exotiques, d’une manière ou d’une autre, quiconque allait être un crédible chef spirituel dans la société grecque devait être formidable. Car dans cette culture-là, le succès était tout. Qu’on soit orateur ou athlète, acteur ou soldat, l’important était d’étaler sa supériorité personnelle sur autrui. Pour avancer dans la société helléniste, il fallait projeter une image importante : éloquente, assurée, prospère, virile – en un mot, forte. Si l’on n’avait pas un corps d’athlète, il fallait tout au moins une personnalité dynamique. Il fallait être sûr de soi jusqu’à l’arrogance. Car les Grecs ne considéraient pas l’humilité comme une vertu. Au contraire, pour eux, l’humilité était impossible de distinguer de la servilité ; c’était un vice. Tout grand homme devait pouvoir se vanter ; il devait être fier. Cela faisait partie intégrante de la définition même d’être « grand ».

Or, cette image impressionnante de force et de puissance était le style de direction spirituelle que les soi-disant « apôtres » qui avaient envahi l’église offraient aux chrétiens à Corinth. Etant donné que c’était exactement le genre de modèle de gestion qu’admirait le monde séculier de cette époque-là, il n’était pas surprenant qu’ils y gagnaient beaucoup d’adhérents parmi les jeunes croyants. Ce faisant, cependant, comme je l’ai dit au début, ils entraient en conflit avec Paul. Pourquoi ? Parce que Paul ne projetait simplement pas ce type d’image et n’a rien fait pour l’acquérir. Il était, comme je le dis, trop normal… en fait, pour quelqu’un qui affirmait être un grand chef spirituel, il semblait être étrangement vulnérable à l’accusation d’être tout à fait le contraire d’un individu fort et puissant… il n’était pas difficile pour ses ennemis de l’affubler de l’étiquette d’homme « faible ».

« Paul ? » raillèrent-ils. « Paul – un chef spirituel ? Il n’est même pas un excellent orateur ! Peut-être qu’il semble assez intimidant en écrivant ces longues lettres-là, mais, en personne, il est un petit homme incompétent. Il est tellement nul pour parler en public qu’il n’ose même pas prendre d’honoraires. Juste un amateur, cet homme ! Comment se peut-il qu’il soit apôtre ? La spiritualité veut dire les actes et les expériences surnaturels ; les chefs spirituels devraient être puissants, mais Paul est faible. Il n’est pas un chef spirituel – non par rapport à nous, tout au moins ! »

Par cette sorte de campagne de diffamation, la faction rivale à Corinth sapait l’autorité de Paul. Et c’est cette question que Paul aborde dans la partie finale de cette lettre à l’église.

Il commence à se défendre à partir du chapitre 10, verset 1 où il prévient ses lecteurs qu’il était loin d’être « timide » et « ordinaire » comme certains le prétendaient. Dans 11:5 il se réfère directement à ses détracteurs, les qualifiant sarcastiquement de « super-apôtres », et insistant qu’il sait compenser son manque de talent pour la rhétorique grecque professionnelle par sa connaissance de première main du Christ. A partir du verset 11:13, Paul cesse de prendre des gants, et après s’être brièvement et plutôt sarcastiquement excusé de ne pas exploiter les finances de ses congrégations, il dénonce ses rivaux comme de faux apôtres se faisant passer pour de vrais apôtres de la même façon que Satan se fait passer pour un ange de lumière.

Mais c’est dans les versets 11:16-12:10, que nous allons étudier, que sa réponse devient la plus intense – car Paul présente dans ces versets-là, d’une façon hautement personnelle et émouvante, un compte-rendu de sa compréhension de la vraie signification d’être un chef spirituel et pourquoi il est qualifié.

Il ne faut pas mal comprendre son motif pour ceci. Il ne souffrait pas de fierté blessée. Ces « faux apôtres », comme il les appelle, faisaient quelque chose de beaucoup plus sérieux que de simplement blesser sa réputation personnelle. Ils contestaient la nature entière de la spiritualité chrétienne. Pour autant qu’on puisse en juger, leur doctrine était solide et ils avaient probablement eu une impeccable éducation chrétienne, bien qu’en projetant cette image sécularisée et mondaine de spiritualité et de direction, ils aient subtilement corrompu le christianisme. Il ne serait pas exagéré de dire qu’ils offraient aux gens un faux Jésus (voir 11:1 et seq.), un Jésus faussé, un Jésus qui ne souffrait plus, qui ne portait plus une croix, qui n’est plus né dans une mangeoire, un Jésus qui n’était plus méprisé et abandonné des hommes – bref, un Jésus qui n’était plus faible.

Et voilà ce que Paul ne pouvait simplement pas permettre. Car il s’était enfin rendu compte que c’était par la faiblesse de Dieu-devenu-homme que le salut du monde avait été gagné. Et ce n’était qu’en acceptant humblement une telle faiblesse que ceux qui seraient les disciples de Jésus pouvaient jamais trouver le secret de la vraie force spirituelle.

Il y avait donc un paradoxe en jeu dans la dispute de Paul avec ces prétentieux apôtres rivaux de Corinth qui frappait au cœur même de l’évangile. Il lui était essentiel de trouver un moyen de piquer leur ego surdimensionné ; il devait révéler l’erreur de leurs affirmations super-spirituelles. Il devait montrer aux chrétiens ordinaires à Corinth que ces soi-disant apôtres pouvaient le dépeindre comme non spirituel seulement parce qu’ils se trompaient sur de la nature de la vraie spiritualité. Et puisqu’ils avait choisi à faire Paul lui-même le centre de leurs idées erronées, il n’avait pas d’autre solution que d’employer lui-même comme exemple afin de les corriger. Bref, il lui faudrait se défendre contre leur litanie de plaintes à son sujet.

Il est bien clair que Paul se sentait mal à l’aise à l’idée de faire cela. Pour lui, parler de lui-même ressemblait à la vantardise, et quoiqu’il ait été plutôt doué en cela autrefois, la vantardise ne lui venait plus naturellement. Cela le faisait se sentir, nous dit-il, comme un insensé. Mais la confusion des Corinthiens ne le laissa aucun choix. Afin de regagner l’allégeance de l’église corinthienne, il lui faudrait prendre ces faux apôtres prétentieux à leur propre jeu. Il lui faudrait « se vanter », comme s’il était un d’eux. Mais, il insiste qu’il n’entreprendrait cette stratégie fâcheuse qu’à contrecœur.

Je le répète : qu’on ne me prenne pas pour un insensé. Ou alors,
acceptez-moi comme tel, que je puisse à mon tour un peu me vanter! (11:16)

Autrement dit : il semble qu’afin que vous écoutiez ce que j’ai à dire, je doive me comporter comme un vantard idiot. Eh bien, j’entrerai dans votre jeu absurde ; je ferai le clown et chanterai mes propres louanges pendant un moment, si c’est ce que vous désirez. Mais, comprenez tout au début

En parlant comme je vais le faire, je ne m’exprime pas comme le Seigneur veut
qu’on parle, je le ferai comme dans un accès de folie. Puisque plusieurs se
vantent pour des raisons tout humaines, eh bien, moi aussi je vais me vanter.
Vous qui êtes si raisonnables, vous supportez volontiers les insensés!
(11:17-19)

Paul utilise l’ironie à de nombreuses reprises dans ces chapitres pour discréditer ses rivaux et c’est là un bon exemple. ‘Vous m’avez obligé à parler comme un vaniteux’, dit-il, ‘ce qui est quelque chose que le Seigneur Jésus lui-même n’aurait jamais fait’. Considérez donc ce qui suit comme si Paul avait temporairement perdu la boule. ‘Je sais que vous allez tolérer mon petit accès de folie, vous qui êtes si parfaitement raisonnables ! Je vous assure, mon petit étalage d’égocentrisme ne sera rien à côté de celui de la bande de crâneurs devant qui vous semblez à présent si anxieux de faire des courbettes !

Vous supportez qu’on vous traite en esclaves, qu’on vous exploite, qu’on vous dépouille, qu’on vous traite avec arrogance, qu’on vous gifle ! (11:20)

Voici un aperçu du type de modèle autoritaire pour des chefs chrétiens qu’établissaient les faux apôtres à Corinth, ceux qui, d’une manière typiquement grecque, méprisaient les faibles et s’attendaient à ce que les gens non honorés de faire partie de l’élite spirituelle rampent devant eux.

‘Non’, dit Paul, son sarcasme lourd d’amertume : ‘Je l’avoue avec honte : nous nous sommes montrés bien faibles !’ (11:21)

Autrement dit, c’est vrai, en tant qu’apôtre je vous ai peut-être parlé avec autorité – mais je ne vous ai jamais traités avec la sorte de mépris intimidant que montrent ces faux apôtres. Si vous considérez mon refus de vous abuser ainsi comme de la faiblesse – alors donc, excusez-moi, s’il vous plaît, de ne pas me plier à vos tendances masochistes.

D’accord – assez parlé des mises en garde introductives ; laissez-moi, Paul le vantard idiot, prendre la scène pour quelque temps ! Vos soi-disant apôtres disent que je ne suis pas un chef spirituel. Ils affirment que je ne peux pas égaler leurs qualifications. Bon, si vous les Corinthiens insistez pour savoir ce que sont les affirmations de Paul, d’une façon réticente et très gênée, je vous les préciserai.

1ère caractéristique d’un chef spirituel :

Considérons la génétique, pour commencer. Vous les Grecs pensez que les origines ethniques sont importantes, n’est-ce pas ? D’accord – voilà la lignée dont je suis issu.

Ils sont Hébreux? Moi aussi. Israélites? Moi aussi. De la postérité d’Abraham? Moi aussi. (11:22)

Comme je l’ai déjà dit, les rivaux de Paul étaient probablement juifs, et il apparaît probable qu’ils essayaient de capitaliser sur leurs origines sémites. Dans un lieu comme Corinth, une touche de l’exotique dans son milieu d’origine était un avantage net. Les religions orientales étaient considérées très avant-gardiste, comme elles le sont dans certains cercles de nos jours. Paul assure les Corinthiens que s’ils sont assez insensés pour penser qu’il est plus probable de vivre des expériences religieuses par les Juifs que par d’autres groupes ethniques, son origine ethnique est tout aussi « supérieure » que celle de ses rivaux. Lui aussi est juif : à cent pour cent. Assez parlé de la génétique.

2ème caractéristique d’un chef spirituel :

Et les exploits héroïques ? Souvenez-vous, les Grecs y accordaient beaucoup d’importance aussi.

Ils sont serviteurs du Christ? C’est une folie que je vais dire : je le suis plus qu’eux. Car j’ai travaillé davantage, j’ai été plus souvent en prison, j’ai essuyé infiniment plus de coups; plus souvent, j’ai vu la mort de près. Cinq fois, j’ai reçu des Juifs les « quarante coups moins un ». Trois fois, j’ai été fouetté, une fois lapidé, j’ai vécu trois naufrages, j’ai passé un jour et une nuit dans la mer. Souvent en voyage, j’ai été en danger au passage des fleuves, en danger dans des régions infestées de brigands, … en danger à cause des faux frères. J’ai connu bien des travaux et des peines, de nombreuses nuits blanches, la faim et la soif, de nombreux jeûnes, le froid et le manque d’habits. Et sans parler du reste, je porte mon fardeau quotidien : le souci de toutes les Eglises. (11:23-28)

Ce catalogue est un vrai coup de maître ; car on faisait souvent le panégyrique des héros grecs avec exactement cette sorte de curriculum. Cependant, Paul fait ici une chose très ingénieuse avec ce récital conventionnel d’un CV d’héros. Quelles choses inclut-il dans son propre catalogue d’accomplissements personnels ? Les résultats de ses grandes croisades d’évangélisation, peut-être ? Ses écrits théologiques prolifiques ? Son esprit d’entreprise audacieux et son initiative missionnaire ? La liste impressionnante des apôtres chrétiens influents qu’il connaît personnellement ? Mais non, il n’énumère que très peu de tout cela, voire rien du tout. En fait, il ne dit rien qui serait le moins impressionnant selon les critères grecs.

Au lieu de cela, il dresse la liste des persécutions qu’il avait subies, les dangers auxquels il avait échappé de justesse et le sens paralysant de responsabilité qui mettent tous la pression psychologique sur lui sans répit. « Les difficultés, les privations et les anxiétés – voilà mon sort » dit Paul. « Et comment est-ce que je les affronte tous ? Est-ce que je sors comme un jeune Hercule, frais et rempli de confiance en moi après chaque épreuve ? Pas du tout ! »

Qui est faible sans que je sois faible ? Qui tombe sans que cela me brûle ? (11:29)

Je suis en désaccord avec l’interprétation majoritaire de ce verset-là. La plupart des commentateurs le prend comme un développement du verset 28. Ils soutiennent que Paul explique la nature de son inquiétude sur les églises. N’importe quel échec ou apostasie l’affecte personnellement. Si quelqu’un hésite sur sa foi en Christ, Paul en est affaibli. Si quelqu’un s’écarte de la vérité, Paul brûle d’indignation ou en est extrêmement gêné. Sans aucun doute cette interprétation a du sens, mais à mon avis, n’est pas d’accord avec la direction générale de la rhétorique de Paul ici. Il paraît beaucoup plus probable que dans ce contexte Paul met l’accent sur sa propre faiblesse morale et spirituelle, pas celle d’autres gens. Il ne dit pas « les autres ajoutent continuellement à mon chagrin par leurs échecs et par leurs péchés » ; mais plutôt, « bien que je sois apôtre, je ne suffis pas à affronter tous les problèmes physiques et moraux qui me viennent. Je ne suis pas plus fort que le reste du monde. Je ne suis pas plus insensible à la tentation qu’eux. En fait, mon seul témoignage, par suite de toutes mes épreuves dans le ministère chrétien, est un sens de mon inadéquation personnelle qui s’approfondit sans cesse ».

Oui, s’il faut se vanter, c’est de ma faiblesse que je me vanterai. Le Dieu et Père du Seigneur Jésus, qui est loué éternellement, sait que je ne mens pas. (11:30-31)

Autrement dit : « Les autres héros peuvent se vanter qu’ils sont exceptionnellement puissants, s’ils le jugent nécessaire. Mais l’honnêteté brutale exige que j’adopte un style différent d’autopromotion. Moi, je dois me vanter de ma faiblesse ».

« En effet, tant que nous parlons de mon passé, permettez-moi d’ajouter une illustration pour prouver ce que j’avance. Si vous voulez vraiment savoir quel genre d’apôtre je suis, je vous le dirai : j’en suis le genre qui, quand les choses deviennent vraiment dures, s’enfuit. C’est vrai ! Je l’ai toujours été. La toute première chose que j’ai fait après être baptisé était de m’enfuir ».

A Damas, le gouverneur du roi Arétas faisait surveiller toutes les issues de la ville pour m’arrêter. Par une fenêtre du mur d’enceinte, on me fit descendre dans une corbeille le long du rempart, et ainsi seulement j’ai pu lui échapper. (11:32-33)

Et voilà Paul ! Pas un Alexandre courageux qui gravit des forteresses ennemies afin de les prendre. Non. Paul est le type d’homme qui descend des forteresses ennemies afin d’éviter d’être pris lui-même. « Un lâche, voilà ce que je suis » dit Paul ! « Je ne le nie pas ».

Or, réfléchissez bien. Voyez-vous ce que Paul essaie de faire ici ? En employant cette tactique ironique et ingénieuse, il bascule l’image séduisante de spiritualité chrétienne que les faux enseignants donnaient à manger aux Corinthiens. Ils considéraient un apôtre comme un surhomme dynamique qui avait du succès à revendre. Mais ils se trompaient. Ceux qui se présentent eux-mêmes de cette façon vantarde, comme le dit Paul, se trahissent comme de faux apôtres. Car les vrais apôtres du Christ sont bien différents. Ce sont des gens qui reçoivent la persécution et le mépris du monde. Ils connaissent le danger né d’une providence inamicale, ils connaissent la privation née de la pauvreté abjecte, ils connaissent l’anxiété née de la responsabilité intolérable ; et surtout, ils connaissent l’humiliation née de la connaissance qu’ils sont indignes et inadéquats.

Si les Corinthiens mettent Paul au pied du mur et insistent pour qu’il chante ses propres louanges comme un idiot, il le fera. Mais c’est sa vulnérabilité et ses échecs dont il fera étalage devant eux, pas ses forces et ses réussites. Car contrairement aux chefs qu’ils admiraient tant, Paul n’était pas un imposteur prétentieux – il possédait de la spiritualité réelle. Et par suite il ne méprisait pas la faiblesse. Au contraire, il y compatissait. S’il est forcé à se vanter, il se vantera donc des choses qui démontrent sa faiblesse.

3ème caractéristique d’un chef spirituel :

Et les expériences surnaturelles ? Après tout, on s’attend à ce que les grands chefs spirituels soient également en faveur d’elles, n’est-ce pas ? Bon, permettez-moi de vous donner mes références à cet égard.

Il faut donc que je me vante, bien que cela ne soit pas bon. Mais je vais parler maintenant des visions et révélations que le Seigneur m’a accordées. Je connais un chrétien qui, il y a quatorze ans, fut enlevé jusqu’au troisième ciel (Je ne sais pas s’il fut réellement enlevé ou s’il eut une vision, Dieu seul le sait), et là il entendit des paroles inexprimables et qu’il n’est permis à aucun être humain de répéter. Je me vanterai au sujet de cet homme – mais, quant à moi, je ne me vanterai que de ma faiblesse. (12:1-5)

Voilà ce qui est nettement une description d’une profonde expérience extasiée ou mystique. Il se peut que la modestie empêche Paul de parler à la première personne, bien qu’il parle « comme dans un accès de folie ». Ou il se peut que l’expérience fût tellement loin de sa vie quotidienne qu’il semblait comme si quelqu’un d’autre l’avait vécue. Mais il est clair que Paul ne nous raconte pas de seconde main l’expérience d’un ami. Le « chrétien » n’était personne d’autre que lui-même, comme le verset précise plus tard.

Il y a plusieurs aspects de cette expérience qui méritent notre attention.

D’abord, même pour Paul, une telle expérience mystique était extrêmement rare. Cela s’est produit « il y a quatorze ans ». Donc, c’était une expérience qui n’arrive qu’une fois dans une vie, pas une partie habituelle de la méditation quotidienne de Paul.

Deuxièmement, c’était extraordinairement intense ; « s’il fut réellement enlevé ou s’il eut une vision ». Autrement dit, il se sentit enlevé jusqu’au domaine spirituel, le « troisième ciel » comme il l’appelle. Que ce soit une vision qui se produisit dans sa tête ou un enlèvement réel, il ne pouvait en être certain ; l’expérience était tellement intense qu’elle éclipsa toute conscience normale.

Troisièmement, Paul dit clairement qu’une telle expérience était très spéciale et fournit, potentiellement au moins, des raisons pour un certain degré de fierté spirituelle. « Je me vanterai au sujet de cet homme ». Ce n’était pas une expérience chrétienne normale. Un homme qui connaît une telle expérience se distingue comme spécialement privilégié.

Quatrièmement, Paul considère cette expérience comme particulièrement personnelle. Il entendit des choses « inexprimables », dit-il, des choses qu’il « n’est pas permis à aucun être humain de répéter ». Donc, elle n’était pas donnée à Paul pour partager avec d’autres gens. Elle était privée entre lui et le Seigneur. Pour commencer, elle était impossible à partager. Comme toute expérience mystique elle défiait toute description. Encore plus que cela, dit-il, il aurait été illégitime d’essayer de la partager. Le mystère impliqué était trop sacré ; il n’était pas destiné à être publiquement déclaré.

De plus, Paul affirme qu’il aurait été imprudent de la partager.

Et pourtant, si je voulais me vanter, je ne serais pas un insensé, car je ne dirais que la vérité. Mais je m’en abstiens. Car je désire éviter que l’on se fasse de moi une idée supérieure à ce qu’on peut déduire de mes actes et de mes paroles. (12:6)

C’est extrêmement important. Paul ne voulait pas influencer ce qu’on pensait de lui en exposant cette expérience étonnante. Elle était privée et ne pouvait être vérifiée. S’il s’en était vanté il aurait laissé la porte ouverte à toutes sortes de charlatans qui se vantaient trompeusement des expériences mystiques qui étaient pareillement invérifiables, et qui par conséquent revendiquaient l’autorité dans l’Eglise. Paul refusa donc de soutenir son prestige de cette façon. Il préférait que sa réputation ne soit basée que sur les choses qui pouvaient être corroborées sans ambiguïté par l’observation de son caractère et de ses enseignements : il voulait être respecté pour ses « actes » et ses « paroles » seulement, non pour ses visions dramatiques et ses révélations.

Mais enfin, il y a un cinquième aspect de cette expérience mystique qui mérite également notre attention : elle ne vint pas sans un prix.

Cependant, afin que je ne sois pas enflé d’orgueil pour avoir reçu des révélations si extraordinaires, il m’a été mis une écharde en la chair, comme un messager de Satan chargé de me frapper (12:7).

Il y a des spéculations sur exactement ce que Paul voulait dire par l’« écharde en la chair ». La vérité simple, c’est que personne ne sait.

Certains suggèrent que c’était une personne dans sa vie qui était une source de difficultés et de découragement – un opposant théologique, peut-être, ou même une épouse incroyante !

Une autre interprétation plausible est que l’écharde en la chair est un symbole pour quelque sorte de maladie physique douloureuse ou agaçante. Certains ont suggéré, par exemple, que Paul souffrait peut-être de mauvaise vue à la suite de sa vision aveuglante en route pour Damas. Une autre théorie célèbre est qu’il avait des accès récurrents de malaria.

D’autres ont soutenu que l’« écharde » ne signifie pas ici le corps physique mais la nature inférieure – donc, l’écharde symbolise un péché charnel pressant qu’il devait combattre – la convoitise sexuelle, peut-être.

Et à cet égard, bien sûr, il y a eu quelques commentateurs qui ont suggéré que Paul était peut-être aux prises avec l’homosexualité. Il n’est pas difficile de trouver des preuves indirectes qui soutiennent une telle théorie. Il n’y a aucune mention d’une femme dans sa vie, après tout – et il était bien extraordinaire qu’un rabbin juif reste célibataire. Et qui plus est, il avait des relations très proches avec plusieurs camarades mâles – notamment Timothée. Bien entendu, la société juive orthodoxe du temps de Paul était très homophobe, et ainsi, un juif homosexuel n’aurait pas d’autre choix que de rester dans le placard. Sans aucun doute, les étalages flagrants de l’homosexualité dans des villes païennes comme Corinth ou Rome auraient été extrêmement troublants pour une telle personne. Si Paul avait été homosexuel, il aurait été sujet à la souffrance intérieure formidable – tout comme le serait un(e) chrétien(ne) LGBT de nos jours, éduqué(e) dans une église très conservatrice qui doit alors vivre et travailler dans un environnement qui est très sexuellement permissif comme celui de San Francisco ou de New York. Qui plus est, si Paul avait été troublé de cette façon il n’aurait sûrement pas pu l’avouer ouvertement, son ministère aurait été irrémédiablement compromis et une arme importante aurait été présentée sur un plat à ses adversaires juifs. Pour lui, la seule façon possible de se référer à une telle lutte privée aurait été au moyen d’une métaphore très ambiguë – une métaphore comme une écharde en la chair.

Pourtant, bien qu’il soit tentant de spéculer à cet égard, cela ne puisse être rien de plus que la spéculation. On n’en sait tout simplement rien. Paul doit avoir eu ses propres raisons d’en parler en termes tellement cryptiques. Mais peut-être que l’objet du Saint-Esprit en l’inspirant pour employer cette vague métaphore était de mettre cette confession de vulnérabilité personnelle sur les lèvres du grand apôtre de telle manière que chaque chrétien puisse la partager.

Car, voyez-vous, nous avons tous quelque chose dans notre vie qui est une source de douleur physique, de découragement émotionnel ou d’épreuve morale, et qui semble ne jamais partir. Bref, nous avons tous une écharde en la chair. En se référant à sa propre source de frustration en termes tellement obliques, Paul permet à chacun d’entre nous de s’identifier à lui… et c’est vrai pour nous les chrétiens gays plus que personne. Plus que personne, nous connaissons l’écharde en la chair. Tout comme Paul, notre spiritualité est questionnée par les gens moralement supérieurs dans nos églises qui ont du mépris pour notre « faiblesse ». Notre droit d’être au pouvoir est questionné. Tout comme Paul, nous sommes de plus en plus forcés de nous défendre – d’expliquer comment quelqu’un avec une telle écharde évidente en la chair pourrait possiblement prétendre être spirituel.

Eh bien, voici la réponse à ce défi – si Paul pouvait si positivement regarder son écharde en la chair, quoi qu’elle soit, et la changer même en source de fierté chrétienne – nous aussi, nous pouvons le faire ! L’important à cet égard n’est pas la nature précise de son handicap, mais son effet sur son ministère. Pourquoi lui a-t-il été donné ? Il nous dit lui-même – pour le « garder de l’orgueil ». Il y avait un vrai danger, voyez-vous, qui était associé au privilège spirituel de ces révélations avec quoi, en apôtre, il avait été favorisé : le danger de l’orgueil. Très peu de gens ont jamais été mis en contact tellement intime avec le ciel qu’ils ont vu le Seigneur ressuscité lui-même. Mais Paul l’avait été ! Il serait bien trop facile de se croire quelqu’un de spécial. L’écharde en la chair était une sorte de remède prophylactique contre une telle tentation. Dieu la permit de tenir Paul dans une position d’humilité spirituelle.

Il est compréhensible qu’au début, cela ne lui plaise pas.

Trois fois j’ai prié le Seigneur de l’éloigner de moi (12:8).

Paul n’était initialement pas disposé à accepter cette écharde. Ce n’est pas une exagération de dire qu’il était rebelle. Il n’est pas difficile d’imaginer les arguments qu’il aurait exposés dans ses prières. ‘Seigneur, sûrement que je serais un serviteur plus efficace pour vous sans cet handicap. Il est déjà assez difficile d’affronter tous les dangers et toutes les privations de la vie missionnaire sans devoir lutter contre cette maudite écharde en la chair !’ Mais le Seigneur refusa son requête et, finalement, Paul était réconcilié à la situation.

Remarquez la réponse qu’il fut donnée :

Mais il m’a répondu : « Ma grâce te suffit, c’est dans la faiblesse que ma puissance se manifeste pleinement. » (12:9)

Dieu ne prendrait pas le risque d’enlever l’écharde. Elle avait un objet crucial dans la vie de Paul. Au lieu de cela, il assura Paul qu’il ne souffrirait aucun obstacle à son ministère par la suite ; au contraire, il serait encore plus efficace. D’autres deviendraient chrétiens non parce qu’ils considéraient Paul comme un héros impressionnant, dynamique et surnaturel, mais parce qu’ils pouvaient voir la grâce de Dieu travaillant si manifestement en lui, malgré sa faiblesse naturelle. Et Paul se rendit compte enfin que c’était là le meilleur chemin.

Ce qui m’amène à la dernière chose que je voudrais que vous remarquiez dans ce passage : la grande leçon que Paul apprit :

C’est pourquoi je me vanterai plutôt de mes faiblesses, afin que la puissance du Christ repose sur moi. Je trouve ainsi ma joie dans la faiblesse, les insultes, la détresse, les persécutions et les angoisses [autrement dit : dans toutes ces choses que vous les corinthiens, dans votre état d’esprit séculier, trouvent difficiles d'associer à la spiritualité] que j’endure pour le Christ. Car c’est lorsque je suis faible que je suis réellement fort. (12:9-10)

Il est difficile d’exagérer l’importance de ces deux versets. Ceux-ci représentent le noyau même de la thèse de Paul dans ces chapitres. Ils sont la réprimande finale à la mentalité corinthienne. Ce sont les Corinthiens, dit-il, qui sont les vrais idiots. Ils admirent ceux qui se vantent de leurs révélations et de leurs visions. Ils se prosternent devant ceux qui se vantent de leurs exploits. Mais Paul ne le fait pas : et, ironiquement, la conséquence directe de ses propres visions et révélations était qu’il apprit ne pas se vanter ainsi ! Le christianisme, il se rendit compte enfin, était incompatible avec de tel comportement. Car la spiritualité chrétienne prend plaisir à la faiblesse ; c’est seulement dans l’acceptation et la confession de faiblesse que le chrétien trouve la grâce de Dieu surnaturelle, coulant pour satisfaire leur besoin.

Il me semble que ces versets sont énormément pertinents pour nous pour plusieurs raisons.

D’abord, parce que la sorte de super-spiritualité à laquelle Paul s’oppose est loin d’être absente dans notre [vingtième] siècle. Il y a beaucoup de chefs chrétiens aujourd’hui qui veulent s’entourer avec les mêmes sortes d’aura surnaturelle ; qui pensent qu’être spirituel doit vouloir dire des miracles, des visions et du ‘puissance’. A ce propos, notez attentivement l’insistance de Paul que chaque expérience spirituelle que l’on a n’est pas nécessairement destiné à être partagée. Il y a des détails intimes de nos vies qui sont rabaissés par l’exposition publique et ne sont pas destinés pour l’exhibition publique, même dans l’église. Méfiez-vous de ceux qui se vantent toujours des révélations, des expériences et des victoires qu’ils ont eues ; car la réticence dans de telles affaires est le signe de la vraie spiritualité.

Remarquez aussi que les expériences extasiées du contact direct avec le ciel sont extraordinaires, même pour des apôtres remplis de l’Esprit. D’après le récit de Paul il est clair que de telles expériences peuvent être authentiques. Nous ne devons pas accuser tous les mystiques dans l’Eglise de s’être trompés eux-mêmes, encore moins d’être diaboliquement inspirés, comme le font certains anti-charismatiques. Mais l’expérience mystique ne doit pas être le point de départ pour évaluer la spiritualité d’une personne. Les affirmations de ce genre d’expérience peut être trompeuses. Selon Paul, ce sont les actes et les paroles qui comptent, pas les extases psychiques.

C’est pourquoi Paul ne chercha pas de telles expériences. Sa rencontre dans ‘le troisième ciel’ lui arriva simplement, sans prévenir. Ce n’était pas le résultat d’aucune sorte de discipline mystique. Il n’avait pas prié pendant des mois ni jeûné pendant des jours dans le désert afin d’obliger Dieu à le bénir. Cela lui arriva une seule fois, sans se reproduire, pour autant que nous sachions. Même avec les plus grands saints, de telles expériences sont rares, ou tout à fait absentes : car c’est le caractère, pas les expériences, qui est le vrai signe incontestable de l’Esprit dans sa vie.

Ecoutez ces paroles de St Jean de la Croix, un des plus grands mystiques chrétiens de tous les temps :

Toutes les visions, toutes les révélations, tous les sentiments célestes, et tout ce qui soit plus grand que ceux-ci, ne valent pas le moindre acte d’humilité, étant le fruit de cette charité qui ne s’estime pas elle-même ni ne se cherche pas elle-même, qui pense bien d’autrui mais non d’elle-même. De nombreuses âmes à qui des visions ne sont jamais venues sont incomparablement plus perfectionnées que d’autres qui en ont eu beaucoup.

Méfiez-vous alors des gens super-spirituels qui se vantent sans arrêt de leurs ministères puissants.

Une autre raison que ce passage est pertinente pour nous est à cause de l’accent lourd sur la délivrance qui caractérise certaines parties de l’Eglise de nos jours. Quel que soit votre problème – une maladie physique, une tentation morale, une difficulté conjugale ou l’oppression démonique – il y en a qui vous assureront que la solution ne viendra que par la prière de foi qui fait merveille.

Bon, à ce propos, remarquez le témoignage de Paul que les prières des plus grands saints ne sont parfois pas exaucées de la façon qu’ils veulent. Trois fois Paul demanda quelque chose et trois fois Dieu répondit ‘non’. Trouvez-y un réconfort ! Contrairement aux idées païennes, une prière n’est pas un souhait magique exaucé sans conditions par quelque sorte de bonne fée ; c’est un don d’un Dieu affectueux. Et le Dieu Père ne va jamais nous donner quelque chose qu’il sait n’est pas tout à fait dans nos intérêts à long terme, si persistantes que soient nos demandes. Dieu merci qu’il nous dit parfois ‘Non !’. S’il ne le faisait pas, qui d’entre nous oserait jamais prier de nouveau ?

Cela est particulièrement pertinent au débat entier sur le ministère ex-gay. Les chrétiens doivent être prêts à accepter des luttes de différentes sortes à cause de la contribution positive qu’elles peuvent parfois offrir à leur vie, de même que Paul devait accepter son écharde en la chair. Certains gens nous disent que nous avons un droit d’être délivrés de n’importe quoi et de tout ; et alors, si nous sommes malades et nos corps ne sont pas guéris par la prière, ou si nous sommes gay et notre sexualité ne sont pas réorientée par la prière – il y a donc quelque chose ne va spirituellement pas avec nous. Nous devons manquer de la foi. Je dois vous dire sur l’autorité de cette Ecriture – ce n’est pas le cas. Il y a une attente de la faiblesse et des problèmes dans la vie chrétienne. Bien sûr, nous prions pour du soulagement ; mais si nos prières sont invariablement déniées, nous devons donc conclure finalement que Dieu nous dit, ‘vous m’êtes plus utile avec cette « écharde » que sans elle. Il y a des qualités que vous gagnerez en l’affrontant, et que vous ne pouvez apprendre d’aucune autre manière’.

Au fait, observez-vous que Paul ne fait aucune distinction entre l’œuvre de Satan et la volonté de Dieu dans cette question. Il appelle cette écharde en la chair, que Dieu lui avait donnée, ‘un messager de Satan’. Vous auriez pu penser que quelque chose de ‘satanique’ devait être un objet approprié pour le ‘ministère de délivrance’. Mais non. Satan est sous le contrôle de Dieu, et Dieu lui donne quelquefois l’occasion de nous influencer, comme dans le cas de Job. Paul était un meilleur homme en raison de son écharde en la chair – quoiqu’elle soit un messager de Satan.

En ce qui concernait Dieu, un peu de douleur ou de gêne morale ou de détresse personnelle était un petit prix à payer pour la conquête de l’ego pour un de ses serviteurs. Même le Christ pria une fois, « éloigne de moi cette coupe », et entendit la réponse, « non ». Même lui, on nous dit, était élevé « à la perfection par des souffrances » (Hébreux 2:10) – et il était un meilleur chrétien que nous tous.

Il y a une troisième raison que ce passage est pertinent pour nous aujourd’hui : les qualités d’un grand chef.

—Permettez-moi de vous poser une question : quelle est votre image d’un grand chef?
—Permettez-moi de vous poser une autre question : quelle est votre image d’un grand chef chrétien ?
—Or, permettez-moi de vous poser une troisième question : est-ce que l’apposition du mot ‘chrétien’ dans la deuxième question a matériellement changé votre réponse originale ?

Pour beaucoup d’entre nous la réponse, je soupçonne, serait ‘non’. Les qualités que nous désirons dans, disons, un pasteur sont à peu près les mêmes que nous désirons dans un président. Nous pourrions les résumer en un mot : force. Pour être un grand chef dans n’importe quel contexte, on doit être fort, ferme, robuste. Les paroles des grands chefs doivent être incisives, ne permettant aucune contradiction ; leurs actes doivent être audacieux, n’acceptant aucune défaite. Ils doivent savoir parvenir à ses fins ; ils ne doivent pas paraître faibles ou lâches. Il doit n’y avoir aucun signe de faiblesse, aucun indice d’échec. Un chef doit projeter une image aussi invincible qu’un cuirassé et aussi infaillible que le pape.

C’était, par exemple, l’image de Margaret Thatcher ; elle respirait l’assurance et la force. Si c’est la façon dont on évalue les chefs politiques, c’est encore plus vrai pour les chefs chrétiens. Là aussi, on s’attend à ce que les chefs soient forts. Les pasteurs ne sont pas permis de montrer de la faiblesse. D’autres sont peut-être accablés par des problèmes personnels, mais un pasteur doit toujours se débrouiller et avoir un surplus de ressources pour aider autrui de se débrouiller aussi. Après tout, un chef chrétien, comme Hercule, est du côté des dieux ; donc, même la reine des Amazones ne devrait pas pouvoir résister à son héroïsme soutenu par des forces surnaturelles.

Cela, en tout cas, c’est le mythe. Mais, bien entendu, ce n’est qu’un mythe. Je crois que le but central de Paul dans ces chapitres de sa deuxième lettre aux Corinthiens est de nous exposer à l’idée fausse de ce mythe-là. Il affirme : ‘Vous avez tort de centrer vos idées d’un chef chrétien sur les modèles que vous tirez de votre culture séculière. Un chef chrétien est tout à fait différent. Les grands chefs chrétiens ne sont pas nécessairement forts, du moins non dans le sens du mot que nous entendons en générale. Au contraire, la qualité principale de toute personne dont Dieu va se servir d’une façon puissante est qu’elle doit être pleinement consciente de ses faiblesses, voire de son incompétence’.

J’ai une dernière question à vous poser. Avez-vous fait cette découverte ? Vous êtes-vous rendu compte que vous êtes plus utile à Dieu avec votre écharde que sans elle ? Etes-vous allés au-delà de la recherche vaine de la libération, pour plutôt trouver un témoignage joyeux de l’approbation de soi ? Bref, Êtes-vous content d’être faibles ?

Je suppose que vous pouvez dire que Paul se décrit intentionnellement dans ces chapitres comme un genre d’antihéros ; un homme qui par la grâce de Dieu entraperçut les cieux et sortit de cette expérience déterminé à ne pas faire semblant d’être quelque sorte de géant spirituel – mais content d’être honnête au sujet de ses vulnérabilités et de ses faiblesses – content de vivre une vie qui glorifiait la grâce de Dieu plutôt que sa propre fierté.

Malheureusement, peu de chrétiens dans notre culture occidentale ont appris cette leçon. Nous admirons le « pouvoir » – c’est là notre mot en vogue. Le pouvoir qui fait pousser les méga-églises. Le pouvoir qui fait des méga-miracles. Le pouvoir qui prêche des sermons éblouissants. Le pouvoir qui résiste à toute tentation, qui vainc toute faiblesse, qui délivre de tout assaut démonique – le pouvoir, qui dans un monde obsédé de succès et d’accomplissements, rend possible qu’en tant que chrétien je me croie quelqu’un !

Paul nous dirait, comme il dit aux corinthiens dans une lettre précédente – « quelqu’un », hein ? Mais ne vous rendez-vous pas compte que Dieu pratique une discrimination délibérément en faveur des moins que rien ? C’est vrai : Dieu a choisi ceux que le monde trouve insensés pour couvrir de honte les « sages » ; ce qui est faible pour couvrir de honte les puissants ; les faibles, les méprisés – les moins que rien – pour réduire à néant ceux qui se croient quelqu’un. Et pourquoi ? Ainsi, aucune créature ne pourra se vanter devant Dieu. (Voir 1 Cor 1.)

Si vous insistez pour avoir quelque chose dont vous pouvez se vanter – écoutez-moi – suivez donc mon exemple et vantez-vous des choses qui montrent votre faiblesse.

Sa réponse à ces rivaux qui l’accusaient d’être non spirituel est de leur montrer, par un mélange magistral d’ironie et de paradoxe, que leur idée de la spiritualité et la sienne étaient aux antipodes l’une de l’autre. « Il n’est tout bonnement pas vrai, dit-il, d’affirmer que pour être spirituel il faut projeter une image de supériorité, de surnaturalisme et de ‘pouvoir’. Au contraire, la vraie spiritualité paraît ordinaire ; la vraie spiritualité paraît faible ; elle paraît normale ; de même que le Christ paraissait faible, ordinaire et normal alors qu’il couchait dans la mangeoire et alors qu’il pendait à la croix. Tant que nous vivons de cette côté de la gloire de la résurrection, nous devons nous attendre à paraître faibles, ordinaires et normaux aussi. Ceux qui essayent de vous impressionner par aucune autre sorte de témoignage trahissent tout simplement à quel point qu’ils ne comprennent pas ni connaissent le Christ ».

Car voilà le paradoxe central de notre foi – l’ironie extraordinaire du Calvaire : c’est seulement par l’humiliation que nous découvrons que Dieu nous exalte, c’est seulement en mourant que nous découvrons que Dieu nous fait vivre, c’est seulement en sacrifiant notre vie que nous découvrons que Dieu nous rend notre vie. C’est seulement lorsque je suis faible que je suis fort.

© Roy Clements (traduction : F.W.)