vendredi 25 septembre 2009

2008 Festival de Prédication #3

Jean 14:25-31 « Le Shalom singulier »
par le Dr Ralph Blair

« Je vous dis tout cela pendant que je suis encore avec vous. Mais le Défenseur, le Saint-Esprit que le Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses et vous rappellera tout ce que je vous ai dit moi-même.

« Je pars, mais je vous laisse la paix, c’est ma paix que je vous donne. Je ne vous la donne pas comme le monde la donne.

« Ne soyez pas inquiets, ne soyez pas craintifs. Vous m’avez entendu dire que je pars, mais aussi que je reviendrai auprès de vous. Si vous m’aimiez, vous seriez heureux de savoir que je vais au Père, car le Père est plus grand que moi.

« Je vous ai prévenus dès maintenant, avant que ces choses arrivent, pour qu’au jour où elles se produiront, vous croyiez. Désormais, je n’aurai plus guère l’occasion de m’entretenir avec vous, car le dominateur de ce monde vient. Ce n’est pas qu’il ait une prise sur moi, mais il faut que les hommes de ce monde reconnaissent que j’aime le Père et que j’agis conformément à ce qu’il m’a ordonné.

« Levez-vous; partons d’ici ».

Jean et les autres Evangélistes ne cachent pas le fait que les disciples de Jésus ne comprenaient pas toujours beaucoup de ce qu’il disait. Et bien que ces derniers aient été aimés et respectés quand les évangiles furent écrits, les Evangélistes ne les dépeignent pas comme de jolis saints en plastique.

Ce fait de la Bonne Nouvelle est lui-même une bonne nouvelle. C’est une indication que les auteurs ne cherchent pas à blanchir ce qui se passa. Il n’est pas dans notre nature déchue de nous présenter, nous et notre ‘cause’, sans le faire sous un jour favorable. Mais bien que la Bonne Nouvelle soit elle-même une interprétation, elle sonne vrai.

Jean nous dit que, à la fin de son discours de la Pâque juive, Jésus a dit tout ce qu’il est venu dire. Et il promet à ses disciples qu’ils n’auront pas à se creuser la tête pour se rappeler tout ce qu’il a dit. Ils auraient de l’aide pour se rappeler et comprendre ce qu’il a dit. Ils auraient l’aide du Saint-Esprit.

« Le Défenseur, le Saint-Esprit que le Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses et vous rappellera tout ce que je vous ai dit moi-même ».

Quelle promesse ! L’ont-ils comprise ? Non, pas encore. La promesse ne s’était pas encore réalisée. Ce n’était qu’au moment où le Père a envoyé l’Esprit au nom de Jésus que les disciples ont commencé à apprendre comme jamais auparavant tout ce qui s’était passé jusque-là.

Qui est ce Défenseur, le Saint-Esprit ? Le mot grec qu’emploie Jean, paraklatos, est passif et signifie ‘appelé aux côtés de’. Le Père appelle le Saint-Esprit à être aux côtés du chrétien, à peu près comme dans les tribunaux grecs, où un défenseur était nommé pour être aux côtés de l’accusé et pour faire tout son possible pour l’aider dans sa défense. Celui-là, un genre d’assistance juridique, ressemblait plus à comme un amicus curiae (un ‘ami au tribunal’) qu’à un avocat ‘professionnel’, comme nous les connaissons. Donc, les érudits nomment le Défenseur que le Père envoie au nom de Jésus « l’Ami au tribunal » (Leon Morris) ou « un autre qui vous prend sous son aile » (Ronald Knox) ou simplement « l’Ami » (C. K. Williams). Tous sommes d’accord : « Une seule traduction ne rend pas la complexité des fonctions [de l’Esprit] », par exemple, prendre le chrétien sous son aile, l’aider et le guider, témoigner de la vérité du Christ, et amener le monde à se repentir ». (R. E. Brown) Rassemblant tous ces thèmes, on le nomme « le Paraclet ».

A. M. Hunter d’Aberdeen, spécialiste du Nouveau Testament, l’exprime très bien. Quant à la déclaration de Jésus que le Paraclet « demeure auprès de vous et est en vous », Hunter affirme : « Il vient en tant que l’autre moi de Jésus, non pas tant pour le remplacer en son absence, mais pour confirmer sa présence. … Pendant l’Incarnation l’Esprit était avec les gens en Christ; depuis lors, le Christ a été dans les gens par l’Esprit ». En effet, dans la première épitre de Jean, ce dernier se réfère à Jésus comme notre défenseur quand il dit : « Nous avons un avocat auprès du Père, Jésus-Christ, le juste ». (1 Jean 2:1)

« Je vous laisse la paix, c’est ma paix que je vous donne. Je ne vous la donne pas comme le monde la donne ».

Le mot que Jésus a employé ici – traduit comme ‘paix’ – était le mot qu’employaient quotidiennement les Juifs pour saluer l’un l’autre à l’arrivée et au départ. En hébreu, c’est shalom. C’est un souhait que tout aille bien pour quelqu’un. Et comme c’est le cas pour nos propres salutations quotidiennes, c’était parfois plutôt superficiel. Et pourtant, c’était plus positif que l’idée typique de ‘la paix’ en grec. Pour l’esprit grec, comme pour le nôtre, ‘la paix’ a tendance de porter plus sur une absence de conflit plutôt que sur un état béni de bien-être – comme c’est le cas pour shalom. En fait, dire shalom à l’arrivée et au départ faisait toujours allusion aux bénédictions de Yahvé.

Mais ici, comme Jésus est sur l’article de la mort, une mort atroce qui sera la mort de la mort elle-même, et qui sera suivie de sa résurrection, il bénit ses disciples avec shalom, ce qui n’est pas de salutation ordinaire. Sa paix est, en effet, sa paix – à lui seulement. Lui seul peut donner sa paix. Le système de ce monde n’en a pas à donner.

En plus de toutes les notions fausses de l’amour, il y a toutes les notions fausses de la paix. Et un des faits qui dévoile la fausseté et la futilité de ces notions est le fait que ce monde est un monde déchu. Et ses notions sur l’amour et sur la paix sont tout aussi fausses. Les notions de ce monde sur l’amour et sur la paix ne tiennent pas compte de notre nature déchue. Donc, même si nous nous efforçons de surmonter notre nature déchue et essayons de répondre au fait d’avoir été créés à l’image de Dieu, nous échouons.

Et cela vaut pour les chrétiens aussi. Comme Thielicke nous le rappelle dans son livre sur ce qui ne va pas avec l’Eglise : « Tout ce que nous faisons a besoin du pardon, même nos actes au nom de l’ordre et de la structure du monde ». Tous nos actes au nom de ‘l’amour’ et de ‘la paix’ ont besoin du pardon – car toute motivation est complexe. Et tout ce que certains font au nom de « la sainteté du mariage » ou de « l’égalité du mariage », au nom de la « loi naturelle » ou des « droits LGBT », a besoin du pardon – car toute motivation est complexe.

Seules les motivations du Christ ne sont pas complexes. Seul l’amour du Christ est vrai. Et seule la paix du Christ est pure. Ce n’est vraiment comme nulle autre paix, Dieu merci !

Hoppe et Burger avaient déjà bien des pièces de la paix qu’a ce monde à nous offrir. Et puis, ils connurent la paix du Christ. Ainsi, ils savaient qu’il n’y avait pas de comparaison possible. Ils savaient que la paix du Christ ne ressemblait à aucune des pièces qu’ils en avaient jamais connues dans le système de ce monde. Et ils avaient eu plus que leur part de ce que le système de ce monde avait à leur offrir. Mais lorsque, dans cette année que Hoppe appelait « Cette Année de la Grâce », ils ont trouvé la paix du Christ – quand ils se sont laissés emporter par la paix du Christ – ils étaient transportés du plus profond effroi et du plus profond désespoir à une paix même plus profonde et à l’espoir de la résurrection. [Robert Hoppe était un célèbre artiste new-yorkais qui, avec son partenaire Robert Burger, assistait aux études bibliques qu’anime le Dr Blair depuis 1975. En octobre 2008, au Festival de Prédication d’EC, on écoutait une cassette, enregistrée en 1989, où Hoppe racontait son histoire émouvante et parlait de sa foi en Christ et celle de son partenaire. Les deux sont morts de SIDA peu après l’enregistrement de cette cassette. – Traducteur]

Alors, comme Jésus nous bénit avec sa paix, son shalom qui donne la vie, il ajoute :

« Ne soyez pas inquiets, ne soyez pas craintifs ».

Encore une fois, voici ce rappel de ne pas craindre. Et, encore une fois, c’est lié avec la raison pour laquelle les disciples n’ont pas besoin de craindre. Ils sont donnés le shalom même de Jésus !

Jésus leur dit aussi de ne pas être craintifs. C’est la seule apparition du mot deilato, ‘craintif’, dans le Nouveau Testament. On pourrait rendre cette admonestation ainsi : « Ne soyez pas lâches. Soyez courageux. » Et comme toujours, cet impératif biblique est soutenu par l’indicatif. Ce qui est demandé est lié avec ce qui est. Nous avons été donnés la bénédiction de la paix du Christ lui-même. Donc, dans sa paix, comment pouvons-nous être inquiets ? Comment pouvons-nous être craintifs ?

Avec cela en tête, Jésus revient au thème de son départ imminent – un thème qui avait inquiété les disciples.

« Vous m’avez entendu dire que je pars, mais aussi que je reviendrai auprès de vous. Si vous m’aimiez, vous seriez heureux de savoir que je vais au Père ».

A moins que l’on ne connaisse quelqu’un, peut-on vraiment l’aimer ? Bien sûr, on peut chercher à garantir le bien-être d’une personne abstraite. Et cela peut être une expression de l’amour. Sachant comment vous voudriez être traité, vous pouvez extrapoler comment quelqu’un d’autre pourrait vouloir être traité. Et voilà la vocation d’amour dans la Règle d’or. Mais il y a également un amour plus scrupuleusement informé dont nous pouvons faire preuve envers quelqu’un que nous connaissons intimement.

Ce que Jésus dit à ces disciples, c’est que s’ils le connaissaient vraiment comme il voulait être connu, ils pourraient l’aimer comme il l’est vraiment. Et ils sauraient que son profond désir c’était de retourner à son Père. Puis, entendant de son retour à son Père, ils s’en réjouiraient. Alors, cet amour leur permettrait d’être contents que sa volonté, non la leur, soit faite.

Mais il leur fait part de ce qui se passe vraiment et de comment sa volonté et la leur sont toutes les deux en train d’être réalisées.

Comment cela ? En voulant que la volonté du Père soit faite. La volonté du Père est le mieux pour tout le monde. Le Père a raison. Et le Père veut ce qu’il y a de mieux, et l’accomplit. Pour souligner le sens de cela, Jésus dit à ces disciples :

« Le Père est plus grand que moi ».

Or, les disciples, comme vous le savez, avaient la plus haute estime pour Jésus. Ils avaient abandonné leurs moyens d’existence et leurs familles pour le suivre. Mais, en bons Juifs, il n’aurait pas été étrange de l’entendre dire : « Le Père est plus grand que moi ».

Mais cela peut nous sembler étrange. Pour des chrétiens fervents qui révèrent la Trinité, cela semble dire que Jésus ne fait pas vraiment partie de la Trinité. Et pour des sceptiques fervents qui se moquent de la Trinité, cela semble dire que Jésus ne fait pas vraiment partie de la Trinité. De quoi s’agit-il vraiment ?

La joie du sceptique et l’angoisse du chrétien sont sans fondement, et peuvent être enterrés avec un peu de perspicacité biblique. Voilà ce que les plus grands esprits du monde consacraient beaucoup d’efforts à clarifier il y a bien des siècles.

Pour commencer, il serait utile si tout le monde arrêtait de citer les textes hors contexte.

Deuxièmement, il faut comprendre que cet Evangile célèbre la plus haute christologie. Jean commence cet Evangile par affirmer : « Au commencement était celui qui est la Parole de Dieu. Il était avec Dieu, il était lui-même Dieu. Au commencement, il était avec Dieu. Tout a été créé par lui ; rien de ce qui a été créé n’a été créé sans lui. … Celui qui est la Parole est devenu homme et il a vécu parmi nous. Nous avons contemplé sa gloire, la gloire du Fils unique envoyé par son Père : plénitude de grâce et de vérité ! »

Troisièmement, dans tout l’Evangile, Jésus s’identifie à son Père d’une façon qu’aucun juif n’oserait jamais le faire. Et bien sûr, en le faisant, il provoqua la censure des chefs religieux. (Cf., e.g. 5:16-18, 10:30, 20:28, etc.)
Quatrièmement, dans tout l’Evangile, Jésus montre l’obéissance à la volonté de ce même Père. (Cf., e.g. 4:34, 5:19-30, 8:29, etc.)

Et alors, de quoi s’agit-il vraiment ?

Eh bien, Jésus affirme qu’il revient à celui qui l’envoya en premier lieu. Il n’est en aucun cas étrange de dire que l’envoyeur est ‘plus grand’ que celui qui fut envoyé.

Et l’attention de Jésus n’est pas centrée sur l’ontologie, l’étude philosophique de l’être. Pour ces hommes-là, cela aurait été une exotique perte de temps. Ces disciples perplexes et anxieux étaient-ils vraiment prêts pour un débat anachronique sur les points les plus subtils de la théologie trinitaire ? Pas vraiment. Mais ils étaient en effet prêts à entendre que, tout chaotiques que semblent les choses, leur Maître allait au Père, le Tout-Puissant, dont le règne s’étend sur tout.

Qui plus est, le Fils incarné parle ici d’homme à homme. Donc, en se référant au Père, ne devrait-il pas accorder que le Père est plus grand que lui-même ?

Nous sommes parmi ceux en qui le Saint-Esprit demeure comme promis, contrairement aux premiers disciples au moment où ils écoutaient Jésus donner ce discours. Donc, quand nous lisons que Jésus dit : « Le Père est plus grand que moi », qui sommes-nous pour ne pas prier que la volonté de notre Père soit faite ? Pour qui prenons-nous quand nous avons tellement confiance en nos propres compréhensions mesquines de ce qu’il en est, de ce qui est bien ou mal, vrai ou faux, et de toutes les autres choses dont nous parlons dans nos discussions et même dans nos études bibliques ? Si le Père est plus grand que le Fils, nous qui voudrions être les disciples du Fils ne pouvons donc pas faire moins que lui.

« Je vous ai prévenus dès maintenant, avant que ces choses arrivent, pour qu’au jour où elles se produiront, vous croyiez ».

Or remarquez : Jésus ne gaspille pas sa salive pour titiller une vaine curiosité, et Jean n’écrit pas cela pour chatouiller les orteils que l’on trempe avec indifférence dans l’eau vive non plus. Comme Jean le révèle vers la fin de son discours, il écrit « pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et qu’en croyant, vous possédiez la vie en son nom ». (20:31) Et ici, Jésus dit qu’il les a prévenus avant que ces choses arrivent, pour qu’au jour où elles se produiront, ils croient.

Il les a prévenus de quoi, avant que quoi arrive ? Ce qu’il leur dit et ce qu’il arrivera est tout ce que nous l’entendirent dans ce dernier discours. Et il leur dit pour qu’ils croient. Croire quoi ? Croire qu’il était exactement celui qu’il affirmait être. Et il dit qu’il y a peu de temps : « Je vous le dis dès maintenant, avant que cela ne se produise, pour qu’au moment où cela arrivera, vous croyiez que moi, je suis ». (13:19)

Les ennuis allaient venir. C’était bien évident. Il les a prévus et y a avancé, fermement décidé à réaliser le but pour lequel il était venu. Mais il voulait qu’ils sachent qu’à travers tout cela, il avait été le Fils obéissant de son Père, pour eux. Il voulait qu’ils sachent qu’aussi noirs que soient les prochains jours, la chose importante qui allait tout changer serait la grâce même de Dieu dans et à travers Golgotha jusqu’à la matinée glorieuse dans le Tombeau du jardin.

« Désormais, je n’aurai plus guère l’occasion de m’entretenir avec vous, car le dominateur de ce monde vient. Ce n’est pas qu’il ait une prise sur moi … ».

Nous sommes maintenant arrivés au moment où Jésus doit quitter le repas de la Pâque juive et conduire ses disciples dehors dans le jardin sombre de Gethsémani où il ne rencontrerait pas simplement un Judas ou de prêtres et de gardiens du temple, mais le Mal, lui-même. Le prince de la méchanceté systémique de ce monde est impatient de vaincre Jésus. Mais Jésus dit que celui-là n’aura aucun moyen de l’attraper. Comment cela ? Le Mal attrape les pécheurs au moyen du péché du pharisaïsme. Mais le seul péché qu’apporta Jésus à Gethsémani et à Golgotha était à moi et à vous. Donc, la haine avec laquelle Satan rencontra le Sauveur à Gethsémani a été contrée par l’amour, et Satan n’avait aucun moyen de vaincre l’amour. Comme Jésus, le bon berger, avait dit un peu plus tôt dans l’Evangile de Jean : « Je donne ma vie pour les brebis. J’ai encore d’autres brebis qui ne sont pas de cet enclos ; celles-là aussi, il faut que je les mène … Personne ne m’enlève la vie ; mais je la donne de moi-même. J’ai le pouvoir de la donner et j’ai le pouvoir de la reprendre ; tel est le commandement que j’ai reçu de mon Père ». (10:15-16, 18)

Et alors là, dans la pièce du haut, Jésus dit encore une fois :

« … il faut que les hommes de ce monde reconnaissent que j’aime le Père et que j’agis conformément à ce qu’il m’a ordonné ».

Et maintenant il se dirige vers le jardin pour prier à son Père, pour s’assurer que la preuve terrible des prochaines heures est bien la volonté du Père. Si oui, « qu’il arrive non pas ce que moi, je veux, mais ce que toi, tu veux ».

Et alors, en tant qu’agneau Pascal de Dieu, il se lève, se tourne vers les disciples et dit :

« Levez-vous ; partons d’ici ».

mercredi 23 septembre 2009

2008 Festival de Prédication #2

Jean 14:18-24 « Ménage de trois personnes »
par le Dr Ralph Blair

« Je ne vous laisserai pas seuls comme des orphelins ! » Voilà ce que Jésus promit à ses disciples. Il dit : « Je reviendrai auprès de vous. Sous peu, le monde ne me verra plus ; mais vous, vous me voyez parce que je suis vivant et que, vous aussi, vous vivrez. Quand ce jour viendra, vous connaîtrez que je suis en mon Père; vous saurez aussi que vous êtes en moi, et que moi je suis en vous. Celui qui m’aime vraiment, c’est celui qui retient mes commandements et les applique. Mon Père aimera celui qui m’aime; moi aussi, je lui témoignerai mon amour et je me ferai connaître à lui.

Jude (non pas Judas Iscariote) lui dit : « Seigneur, pourquoi est-ce seulement à nous que tu veux te manifester, et non au monde? » Jésus lui répondit : « Si quelqu’un m’aime, il obéira à ce que j’ai dit. Mon Père aussi l’aimera : nous viendrons tous deux à lui et nous établirons notre demeure chez lui. Mais celui qui ne m’aime pas ne met pas mes paroles en pratique. Or, cette Parole que vous entendez ne vient pas de moi, c’est la Parole même du Père qui m’a envoyé ».

« Je ne vous laisserai pas seuls comme des orphelins ! »

Voilà une autre raison pour laquelle les disciples n’ont pas à s’inquiéter. C’est une autre façon de dire encore une fois : « Arrêtez de vous inquiéter ! »

Quel désir est plus profond que notre désir d’appartenir à quelque chose, d’être désiré, aimé et accepté ? Quelle anxiété plus insoutenable que la peur primale d’être abandonné ? Les gens mentent, volent, s’endettent et font toutes sortes de bêtises pour retrouver l’acceptation et éviter l’abandon.

Eh bien, parmi tous les nécessiteux que les prophètes hébreux avaient en tête, ceux dont le besoin était le plus désespéré étaient les veuves et les orphelins. Ils ne pouvaient pas se débrouiller tout seuls. Dans le monde ancien, où bien des parents moururent prématurément, les orphelins ne manquaient pas. Aujourd’hui, à part des photos des orphelins du génocide et de SIDA africains, ou celles des enfants abandonnés en Sibérie ou en Asie du sud-est, nous ne sommes pas normalement conscients des orphelins. Mais à l’époque de Jésus, les orphelins n’étaient pas rares. Tout le monde était bien conscient de la situation désespérée des orphelins. Donc, il ne fait aucun doute que c’était un grand soulagement que d’entendre Jésus promettre de ne pas les abandonner pour se débrouiller tout seuls.

Ils dépendaient de Jésus. Plus tôt, pendant le repas de la Pâque juive, il les avait traités de « petits enfants ». Maintenant il assure ses « petits enfants » qu’ils ne finiront pas par devenir orphelins.

Mais comment cela? Depuis un certain temps, il les préparait pour son départ. Naturellement, ils devenaient inquiets de ce qui allait leur arriver après son départ. Tout cela était si déroutant, si inquiétant. A en juger par ce qu’il leur disait et par l’opposition croissante des chefs religieux, il paraissait qu’ils allaient peut-être être laissés seuls et sans défenses contre la déception, l’abandon et le désespoir cruels.

Et rappelez-vous, nous avons été créés pour la communion – avec Dieu et l’un avec l’autre. Dieu fut le premier à dire qu’il n’était pas bon que nous soyons seuls. Et Hovie Lister [Hovie Lister (1926-2001) était un chanteur américain de gospel du sud. – Traducteur] ne fut pas le dernier à exprimer l’envie de tout le monde lorsqu’il écrit : « Il n’y a rien de pire que d’être seul. [Donc] prends ma main et conduis-moi là où personne n’est seul ».

Eh bien, quand Jésus promit à ses disciples qu’il ne les laisserait pas seuls, comme des orphelins, c’était la promesse la moins surestimée qu’on n’ait jamais faite. Comment cela ? Au-delà de quelques pages seulement du récit de Jean, on est permis d’écouter la prière de Jésus pour tous ses disciples – ceux avec qui il avait passé les trois années précédentes, et tous ceux qui allaient croire à travers leurs témoignages.

Voilà ce que Jésus demanda à son Père : « Je te demande qu’ils soient tous un. Comme toi, Père, tu es en moi et comme moi je suis en toi, qu’ils soient un en nous … Je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, afin qu’ils soient un, comme toi et moi nous sommes un, moi en eux, et toi en moi. » (Jean 17:21-23). Le Fils demanda à son Père de nous adopter tous, nous donnant tous un nouveau nom dans la Demeure Sainte, une nouvelle identité, une nouvelle responsabilité et la sécurité éternelle dans l’Amour Trinitaire de Dieu. Rien ne ressemble être orphelin moins que cette prière exaucée.

« Je reviendrai auprès de vous ».

Il est ici et il reviendra auprès de nous ? Que veut-il dire ? En grec, le présent implique à la fois la certitude et la nature continue de son retour. Il pourrait se référer ici à son prochain retour dans son corps de résurrection, à son retour plus tard dans le Saint-Esprit, et à son avènement communément appelé ‘second’ à la fin, quand il jugera le monde.

« Le monde ne me verra plus ; mais vous, vous me voyez ».

Jésus dit à ses disciples que, sous peu, le monde incroyant ne le verra plus. Et, effectivement, après la crucifixion, le monde incroyant ne le voyait plus. Et pourtant, dans le texte grec, Jésus dit que, bien que le monde ne le voie plus, « vous me voyez ». Le présent signifie que les disciples continueront à le voir jusqu’à l’avenir indéfini.

En effet, ces disciples ne seraient dépourvus de lui que sur une courte durée de « trois jours » (selon la façon juive de compter les jours). Mais le monde ne le verrait pas alors. Après sa crucifixion et résurrection, le monde ne le voyait plus. Et quand vint l’Esprit, le monde ne voyait pas l’Esprit. Il voyait les effets de l’Esprit. Mais il ne ‘voyait’ pas l’Esprit. Le système de ce monde-ci a-t-il jamais ‘vu’ Jésus ? Le système de ce monde-ci a-t-il jamais ‘vu’ le Saint-Esprit ? Le système de ce monde-ci crucifia Jésus. Il lui en veut. Il le refuse. Et il résiste à son Saint-Esprit. Pourquoi ? Parce que le système de ce monde est spirituellement aveugle. Et le plus aveugle est celui qui refuse de voir.

Mais les croyants à travers l’histoire le voyaient à travers les yeux de la foi. Et les croyants d’au-delà de ce temps et de cet espace peuvent le voir face à face.

« Parce que je suis vivant, vous aussi, vous vivrez ».

Il existe une idée populaire que nous sommes tous immortelles. Mais cette idée ne provient pas de la Bible. Hier soir, nous entendîmes Thielicke en discuter quand il parla de son prochaine mort : « Il ne me faut pas compter sur mon âme immortelle [car] l’âme n’est pas immortelle ». Il dit qu’il s’approchait de la mort « avec confiance », grâce à « celui qui a la vie et le jugement dans ses mains ». Thielicke d’affirmer : « C’est par la grâce seule que je prends part à la résurrection ». (2 Cor 4:7) Thielicke le crut parce Jésus avait promu : « Parce que je suis vivant, vous aussi, vous vivrez ».

Le seul espoir pour la vie – ici et dans l’au-delà – est le fait de la résurrection de Jésus-Christ, notre Sauveur et Seigneur, crucifié et vivant.

« Quand ce jour viendra, vous connaîtrez que je suis en mon Père; vous saurez aussi que vous êtes en moi, et que moi je suis en vous ».

Quel jour ? Le jour où Jésus reviendra á son Père. A ce moment-là, ses disciples reconnaîtront de façon plus complète que jamais auparavant que ce sont eux qui sont dans le Père, et que Lui est en eux, eux aussi. Le mystère de l’unité à laquelle il prenait part avec son Père – dont il avait si souvent parlé – les inclura maintenant, eux aussi ! Qu’est-ce que cela peut signifier ? Cela signifie que ce n’est pas seulement le Christ qui vit, mais nous, nous aussi, sommes vivants en Christ, et continuerons à vivre. C’est dans sa vie que nous vivons !

Mais il y en a plus. Il y en a plus sur ce que cela signifie. Dans le Christ vivant, ce qui est, bien sûr, le Christ qui aime, non seulement nous vivrons, mais nous, nous aussi, aimerons !

« Celui qui m’aime vraiment, c’est celui qui retient mes commandements et les applique ».

Jésus l’exprime d’une manière révélatrice : « celui qui retient mes commandements et les applique ». C’est une chose d’avoir ses commandements. Mais cela ne suffit pas. Les avoir est une obligation, mais pas nécessairement une constatation. Les retenir vraiment, c’est leur obéir – les intégrer en soi, pour imiter le Christ.

Les gardiens des commandements ne leur obéissent pas toujours. Mais ceux qui obéissent aux commandements prouvent par leurs actes qu’ils aiment celui qui les appela à obéir à ses commandements. Et voilà comment ils font preuve de leur amour pour lui. Ils en font preuve en obéissant à son commandement d’amour.

Et c’est un tel amour qui peut réaliser l’amour parce qu’il naît dans l’unité d’une nouvelle « trinité d’amour ». Cet amour est réalisé dans le don divin d’une humanité qui est née de nouveau dans le Fils de Dieu. Le Fils aime le Père et le Père aime le Fils (Jean 3:35; 5:20), et le Père aime ceux qui aime le Fils, et le Fils les aime, lui aussi.

Voilà l’allusion d’une révélation d’un mystère au cœur même de la Réalité. L’amour ! Le Dieu qui est Amour ! Et, depuis le cœur profond du Dieu qui est Amour et l’amour avec lequel nous sommes aimés, nous sommes invités, et ennoblis, à répondre en amour pour Dieu et l’un pour l’autre, voire pour nos ennemis.

Mais comme Jean l’écrivit dans l’une de ses lettres : « Celui qui n’aime pas ne connaît pas Dieu, parce que Dieu est Amour ». (I Jean 4:8) Et, comme encore un autre ‘Jean’ – John Newton – l’écrivit dans une de ses lettres : « Je suis convaincu que l’amour et l’humilité sont les plus hauts accomplissements dans l’école du Christ, et les preuves les plus brillantes qu’Il est bien notre Maître ».

« Seigneur, pourquoi est-ce seulement à nous que tu veux te manifester, et non au monde? »

Voilà la question pertinente à ce point du discours de Jésus ? De toute évidence Jude n’entendit pas beaucoup de ce que Jésus avait dit, puisqu’il avait dit que le monde ne le verrait plus, même si les disciples le verraient. Distrait par la logique ou par la logistique, il n’entendit pas les propos de Jésus sur la vie et sur l’amour !

Jude s’enlisait dans une fascination excessive pour les détails inévitablement frustrants de l’eschatologie. Voyez-vous, Jésus avait dit que « tous les peuples de la terre … verront le Fils de l’homme [sa référence à lui-même la plus typique] venir sur les nués du ciel avec beaucoup de puissance et de gloire ». (Matt 24:31) Donc, comment se fait-il que « tous les peuples de la terre » ne le voient pas ?

Franchement, Jude parlait probablement pour d’autres disciples aussi. Parlait-il également pour certains d’entre nous ? Ne pouvons-nous pas nous laisser distraire par des contradictions apparentes ? Ne pouvons-nous pas, nous aussi, nous enliser dans les menus détails des affaires mineures, et dans tous les détails de comment, quand, où et pourquoi nous ignorons le commandement d’amour de Jésus ? En réponse directe à son amour pour nous, nous sommes appelés à et honorés d’imiter son amour ? Ce même soir, il leur avait accordé le don de ce qu’il appelait « un commandement nouveau », enregistré dans le chapitre précédent de cet Evangile : « Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres ! » (Jean 13:34)

Mais oui, Jude paraît s’être laissé emporter par ses propres idées, et donc il passa à côté de la question. Il est très facile de passer à côté de la question quand on se laisse emporter par ses propres idées. Il est très facile de ne pas comprendre Jésus quand on se laisse emporter par n’importe quoi d’autre : que ce soit ecclésiastique, philosophique, politique, économique, esthétique, social, sexuel – ou tout le reste.

Toutefois, Jésus ne réprimande pas Jude. Et il ne répond pas à la question du point de vue de l’interrogateur, restrictif et sans pertinence, non plus. Jésus rencontre l’interrogateur là où il est, et l’invite à se mettre à la page sur la destination vers où Jésus se dirige depuis que l’interrogateur s’y est perdu. Et la destination vers où Jésus se dirige est l’amour. La réponse la plus vraie et la plus utile à la question de Jude, ainsi qu’à presque toutes de nos propres questions, est l’amour, mis en pratique.

Jésus lui répondit : « Si quelqu’un m’aime, il obéira à ce que j’ai dit. Mon Père aussi l’aimera : nous viendrons tous deux à lui et nous établirons notre demeure chez lui. Mais celui qui ne m’aime pas ne met pas mes paroles en pratique.

Voilà la réponse de Jésus à la question de Jude. Ce n’est pas en termes de la question posée par Jude, mais Jésus le mit au courant.

Est-il étrange que Jésus – ou n’importe qui d’autre, d’ailleurs – doive faire remarquer que l’amour inclut prendre au sérieux ce que dit la personne qu’on aime ? A l’époque de Jésus, comme aujourd’hui, il semblait plus facile de parler de l’amour que de le mettre en pratique. Le mot ‘amour’ est si souvent mal employé. Les gens disent qu’ils ‘aiment’ Dieu avec autant d’enthousiasme que lorsqu’ils disent qu’ils ‘aiment’ s’entraîner ou se mettre au régime. Tout n’est qu’une question d’un moyen d’arriver à ses fins. C’est pourquoi certains parlent du sexe comme si c’est ‘l’amour’. Ils peuvent dire « je t’aime » mais cela peut ne signifier rien de plus que « je m’aime et je voudrais me servir de ton corps pour me donner plaisir ». Ne pouvons-nous pas oublier ce truc sur aimer nos ennemis ? Qui fait cela vraiment ? N’avons-nous pas tendance à n’aimer que ceux auxquels nous nous identifions ? Nous ‘aimons’ ceux qui nous ressemblent et que nous aimons bien ? Et ceux qui ne nous ressemblent pas, ou du moins, ceux que nous essayons de nous convaincre ne nous ressemblent pas ? Et ceux que nous n’aimons pas ? Combien d’efforts faisons-nous pour aimer ceux-ci ? Mais ce gars-là est tellement homophobe ! En quoi cela est-il important ? Nous ne sommes pas appelés à être d’accord avec lui sur rien. Mais nous sommes ordonnés à l’aimer – à chercher son bien-être tout comme le nôtre. En fait, en tant que disciples, nous sommes appelés à aller même au-delà de la règle d’or. Nous sommes appelés à aimer tous les autres croyants de la même façon que Jésus nous aima. Et comment cela ? Jésus mit cela en pratique de plein gré, même jusqu’à la mort de la croix. Avons-nous déjà fait autant d’efforts pour quelqu’un ? Evidemment non.

Nous avons tendance à penser à ‘l’amour’ comme un sentiment. Donc, naturellement – en raison de notre nature déchue, c’est-à-dire – nous ‘aimerons’ ceux qui nous font plaisir, ceux qui nous attirent involontairement, ceux que nous pouvons facilement comprendre, ceux qui, nous espérons, peuvent nous aider. Et donc, ‘l’amour’ que nous tendons à avoir en tête est quelque chose d’égoïste. Il se concentre sur nous-mêmes et nulle part ailleurs.

Mais quand Jésus parle de l’amour que nous devons montrer l’un à autre et même à nos ennemis, il parle d’un amour d’abnégation – une ressource qui provient des réservoirs les plus profonds de l’amour que lui et son Père ont l’un pour l’autre et pour nous aussi.

Dans un petit livre sur les problèmes au sein de l’Eglise, Thielicke écrit : « La condition préalable de l’amour est qu’il faut avoir de la considération pour celui qui est différent de soi-même ». Il y ajoute : « Et cette considération est nourrie dans l’école de Jésus-Christ ».

Comme nous sommes complètement différent de Dieu qui créa le cosmos incompréhensible et créa nous tous à Son image ! Et pourtant, Dieu aime chacun d’entre nous dans toute notre diversité. Comme Dieu est différent de nous, parce qu’il nous aima en nous donnant la vie et en nous donnant la nouvelle vie de salut au moyen de la mort et la résurrection de son Fils ! Et maintenant, en tant que bénéficiaires de cet amour incalculable, il est à nous de montrer notre gratitude et d’imiter notre Père et son Fils en aimant Dieu et l’un l’autre dans toute notre diversité, quelque désagréable que cela puisse paraître.

Et remarquez, celui qui prend Jésus au sérieux, celui qui prend au sérieux le Père qui envoya Jésus : c’est celui auprès de qui Jésus et le Père tous les deux établiront leur demeure, pour toujours. Dieu le Père et Dieu le Fils, tous les deux, viendront et demeureront auprès de tous ceux qui veulent vraiment vivre dans un tel ménage. C’est auprès du croyant accueillant que le Père et le Fils tous les deux choisissent à établir une demeure affectueuse. Mais ils ne vont pas là où ils ne sont pas les bienvenus. La question n’est pas : Dieu veut-il vivre avec vous ? La réponse à cette question-là est Oui – écrite en sang depuis avant le début du temps. Voilà la question : Voulez-vous vivre avec Dieu ? La réponse à cette question dépend de qui ou de quoi vous préféreriez avoir en lieu de cela. Il est bizarre que des gens qui prétendent vouloir aller au ‘Ciel’ dans l’au-delà, semblent n’avoir aucun intérêt à vivre avec Dieu dans l’ici et maintenant.

« Or, cette Parole que vous entendez ne vient pas de moi, c’est la Parole même du Père qui m’a envoyé ».

Qui, sinon quelqu’un qui est soit trompé soit trompeur, pourrait dire une chose pareille – à moins qu’il ne soit vraiment le Fils du Père ?

Ici, encore une fois, nous avons – dans le même cas – la haute christologie que provient, comme nous l’avons vu, des révélations de Jésus lui-même et du témoignage qui nous a été transmis par ses premiers disciples. Et pourtant, Jésus fait une humble distinction entre lui-même et le Père. Celui-là est tellement proche du Père qu’il peut prononcer la parole même du Père, Lui-même. Et pourtant, il précise qu’il y a un sens dans lequel la parole appartient au Père et non à lui.

Mais alors, qui est-ce qui parle ? N’est-ce pas celui que Jean, au début de cet Evangile, identifie comme étant la Parole même de Dieu ? Jésus n’est-il pas lui-même la Parole de Dieu en chair et en os – celui dans qui, comme Jean l’exprime, « nous avons vu la gloire même de Dieu » ? Qui d’autre, à part la Parole même de Dieu, peut prononcer la parole même de Dieu ? Et la parole de Dieu est « Je vous aime ! »

Si c’est bien le cas – et les gens l’ont su depuis des siècles – comment pouvons-nous ne pas y prêter attention ? Voilà les paroles mêmes de la vie qui proviennent du Créateur de la vie et le Rédempteur de la vie : « Je vous aime ! » Voila les paroles mêmes de Celui qui, selon Jean, se dressait devant l’église tiède à Laodicée : « Voici : je me tiens devant la porte et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui, je souperai avec lui, et lui avec moi ». (Apocalypse 3:20)

Y a-t-il quelqu’un qui l’entend frapper à la porte ? Y a-t-il quelqu’un qui veut l’entendre frapper à la porte ? Y a-t-il quelqu’un qui écoute ? Y a-t-il quelqu’un qui est partant pour ouvrir la porte ? Pouvons-nous faire place au Sauveur qui fait place aux pécheurs ?

lundi 21 septembre 2009

2008 Festival de Prédication #1

Jean 14:1-17 « Confiance en Dieu et en qui ? »
par le Dr Ralph Blair

Les trois sermons de ce week-end sont tirés du 14e chapitre de l’Evangile selon Lazare. (Ben Witherington) Ou est-ce Thomas ? (James Charlesworth) Ou peut-être Marie de Magdala ? (Esther de Boer) Ces trois personnes ont toutes été suggérées comme auteurs possibles de l’Evangile qui – depuis le deuxième siècle jusqu’à la plupart du XVIIIe siècle – était attribué à Jean, le disciple de Jésus qui s’appelait « celui que Jésus aimait ».

Techniquement, bien sûr, cet évangile, le dernier des quatre dans notre Bible, est anonyme.

Les érudits voient des indices internes et externes que Jean était bien l’auteur, et le débat actuel sur la paternité de l’évangile se limite principalement à un petit groupe de spécialistes.

En tout cas, celui qui écrivit cet évangile était intimement lié au ministère de Jésus. Et il y a des signes de la langue araméenne derrière le texte grec, ainsi qu’une connaissance des influences hellénistiques qui auraient été familières à tout Galiléen.

Jean et son frère aîné, le disciple Jacques, étaient fils de Zébédée, un pêcheur galiléen. Vous vous rappelez peut-être que leur mère était la ‘mère poule’ qui essaya de persuader Jésus de nommer ses fils aux meilleurs postes administratifs dans ce qui serait, croyait-elle, son règne à venir sur terre. Jean est celui qui se précipita vers le sépulcre et, probablement en raison de sa jeunesse, dépassa Pierre pour vérifier le rapport de Marie de Magdala sur le corps manquant de Jésus.

Tandis que Hérode fit décapiter Jacques peu de temps après la crucifixion de Jésus, Jean vécut jusqu’à un âge avancé à Ephèse, ayant pris soin de la mère de Jésus chez lui, en réponse à l’invitation de Jésus sur la croix. Cet évangile fut écrit en 90 après J.C. environ. Si Jean avait été dans ses années 20 pendant le ministère terrestre de Jésus, il aurait eu entre 75 et 85 ans en 90 après J.C.

Le but du livre entier est d’évangéliser, comme fait remarquer l’auteur à la fin : « Mais ces choses ont été écrites afin que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et qu’en croyant vous ayez la vie en son nom ». (20:31)

Ici dans le 14e chapitre, on est à la fin du dernier repas de la Pâque juive que partageait Jésus avec ses disciples – ce que les chrétiens appellent « la Cène ». Ce qui suit est le dernier des discours donnés par Jésus avant d’aller sur la croix.

On y lit :

Jésus dit à ses disciples : « Arrêtez de vous inquiéter. Ayez confiance en Dieu et ayez aussi confiance en moi. Dans la maison de mon Père, il y a beaucoup de demeures ; si ce n’était pas vrai, je vous l’aurais dit : en effet je vais vous préparer une place.

« Lorsque je vous aurai préparé une place, je reviendrai et je vous prendrai avec moi, afin que vous soyez, vous aussi, là où je suis.

« Vous connaissez le chemin qui conduit où je vais ».

Thomas lui dit : « Seigneur, nous ne savons pas où tu vas. Comment pourrions-nous en connaître le chemin ? »

Jésus lui répondit : « Je suis le chemin, la vérité, la vie. Personne ne peut aller au Père autrement que par moi. Si vous me connaissiez vraiment, vous connaîtriez aussi mon Père. Et dès maintenant vous le connaissez, vous l’avez vu ».

Philippe intervint : « Seigneur, montre-nous le Père, et cela nous suffira ».

« Eh quoi, lui répondit Jésus, après tout le temps que j’ai passé avec vous, tu ne me connais pas encore, Philippe ? Celui qui m’a vu, a vu le Père. Comment peux-tu dire : ‘Montre-nous le Père’ ? Ne crois-tu pas que je suis dans le Père et le Père est en moi ? Ce que je vous dis, je ne le dis pas de moi-même : le Père demeure en moi et c’est lui qui accomplit ainsi ses propres œuvres. Croyez-moi : je suis dans le Père et le Père est en moi. Sinon, croyez au moins à cause des œuvres que vous m’avez vu accomplir.

« Vraiment, je vous l’assure : celui qui croit en moi accomplira lui-même les œuvres que je fais. Il en fera même de plus grandes parce que je vais auprès du Père. Et quoi que ce soit que vous demandiez en mon nom, je le réaliserai pour que la gloire du Père soit manifestée par le Fils. Je le répète : si vous demandez quelque chose en mon nom, je le ferai.

« Si vous m’aimez, vous obéirez à mes commandements. Je demanderai au Père de vous donner un autre Défenseur pour vous venir en aide, afin qu’il soit toujours avec vous : c’est l’Esprit de vérité, celui que le monde est incapable de recevoir parce qu’il ne le voit pas et ne le connaît pas. Quant à vous, vous le connaissez, car il demeure auprès de vous, et il sera en vous ».

« Arrêtez de vous inquiéter ! »

Voilà ce que Jésus dit à ces disciples : « Arrêtez de vous inquiéter ! »

Naturellement, ils s’inquiétaient. Jésus avait parlé de sa prochaine mort. Il venait de se référer à un traître parmi eux. (Jean 13:21) Et il leur avait dit qu’il allait partir sans eux, et ils ne pouvaient pas l’y suivre. (13:33,36) Pourquoi donc ne s’inquiéteraient-ils pas ?

Or, comme certains d’entre vous m’ont entendu dire ad nauseam, cela ne sert à rien de dire à quelqu’un de ne pas s’inquiéter. L’inquiétude est involontaire et n’est pas soumise aux ordres de s’arrêter. L’inquiétude est un sentiment, et on ne peut pas ordonner à un sentiment d’arrêter. Jésus ne s’en rendait-il pas compte ? Jésus ne savait-il pas que cela n’avait pas de sens d’ordonner aux disciples d’arrêter de s’inquiéter ? Jésus ne savait-il pas qu’un sentiment découle de ce qu’on pense, de ce qu’on se dit à soi-même ? Et la pensée qui fait s’inquiéter est la conviction qu’on est en danger.

Eh bien, Jésus le savait très bien. Il savait que cela n’avait pas de sens de simplement commander un sentiment. Et il n’a pas fait cela. Il savait que si ses disciples pouvaient repenser la conviction qu’ils étaient en danger, leurs inquiétudes se dissiperaient. Mais à moins qu’on n’ait une raison suffisante pour changer d’avis sur la pensée derrière le sentiment, on ne peut pas changer d’avis. On est alors coincé avec le sentiment non voulu.

Jésus savait qu’il lui fallait détourner ses disciples de la conviction qu’ils étaient en grand danger. Voilà pourquoi Jésus ne leur dit pas tout simplement de ne pas s’inquiéter. Il leur dit ce dont ils avaient besoin d’entendre pour changer d’avis. Il confirma sa déclaration qu’ils devraient « arrêter de s’inquiéter » en leur rappelant de continuer à avoir confiance à Dieu. Ici la construction grecque pourrait être soit indicative, soit impérative – une description de ce qu’ils faisaient déjà ou une directive pour faire ainsi. Il y en a probablement un élément de chacune. Il y a toujours une raison d’approfondir notre confiance en Dieu. Et c’est la confiance en Dieu qui répond aux inquiétudes. Comme l’expliqua Jean Calvin : « Lorsque nous voyons un Pilote guider le navire dans lequel nous voyageons, celui qui ne nous permettrait jamais de périr, même au beau milieu des naufrages, il n’y a aucune raison pour que nos esprits soient accablés de peur et de lassitude ».

Mais à sa déclaration « Ayez confiance en Dieu » il ajouta : « ayez aussi confiance en moi ». Là, dans un parallélisme sémitique typique, Jésus joignit deux déclarations qu’aucun juif n’aurait dû prononcer dans une seule phrase.

« Ayez confiance en Dieu et aussi en moi ».

« Ayez confiance en Dieu et aussi en moi » ? Même certains pasteurs des méga-églises de nos jours, atteints de mégalomanie, y réfléchiraient à deux fois avant de pousser leurs fidèles d’avoir « confiance en Dieu et aussi en moi ». Que penseriez-vous si McCain ou Obama disaient cela ? Que penseriez-vous si je disais cela, moi – ou si votre meilleur ami ou votre partenaire le disait ? Vous penseriez que quelqu’un qui disait une telle chose est vachement fou. Et, selon le DSM-IV, « vachement fou » est un trouble mental. [Le Dr Blair plaisante, bien entendu. Le DSM-IV est le manuel des troubles mentaux publié par l’Association des psychiatres américains (APA). – Traducteur]

Il serait assez bizarre de dire une chose pareille aujourd’hui. Mais qu’un juif du premier siècle ait dit une chose pareille à Jérusalem, le siège de la religion la plus profondément monothéiste que le monde n’avait jamais vue, ne serait pas simplement bizarre, mais blasphématoire – une abomination.

Et pourtant, Jésus le dit. Et il le dit à des hommes qui avaient vécu avec lui pendant trois ans. Qui oserait faire une remarque pareille à ceux qui l’avaient accompagné pendant trois ans ? Gardez à l’esprit, ces gars ne savaient pas qui ils étaient. Ils ne savaient pas qu’ils étaient Saint Pierre et Saint André et Saint Thomas et les autres saints. Ils ne se considéraient l’un l’autre que comme Pierrot, Dédé, Thom et les autres gars. Et ils ne voyaient pas Jésus depuis l’autre bout de 2.000 ans de l’histoire universelle.

On avait toujours dit aux juifs d’avoir confiance dans le Seigneur. Mais aucun juif n’avait jamais demandé à d’autres juifs d’avoir confiance en Dieu et aussi en lui-même ! César essaya de leur dire d’avoir confiance en lui en tant qu’un dieu en même temps qu’en leur dieu ‘régional’, et cela n’était certainement pas bien accueilli.

C’est encore un autre exemple des nombreux cas où le but de l’auteur de cet Evangile se réalise. Il avait introduit à ses lecteurs la Parole Eternelle devenue homme au tout début, et ici, il continue dans la même veine.

‘Ayez confiance en Dieu’ – encore moins ‘ayez confiance en Jésus’ – est peut-être devenu un tel cliché qu’il est peut-être utile de faire une pause pour examiner ce que signifie une telle confiance.

Dans une méditation sur « Que signifie avoir confiance ? » Thielicke parle d’une correspondance qu’il avait entretenue avec un jeune soldat pendant la guerre. Le jeune homme traumatisé lui avait écrit une lettre où il lui demanda : « Comment Dieu peut-il permettre cela ? » Voici une partie de la réponse de Thielicke :

« Il est vrai, bien sûr, que même ceux dont Dieu avait ouvert les yeux ne pouvaient pas voir tous les mystères du Christ. Peut-être juste un peu plus tard furent-ils terrifiés par ce qu’ils virent se passer à Golgotha ». En effet, très peu après, les disciples se dispersèrent, frappés de terreur. Thielicke poursuit, reprenant la question du soldat : « Il se peut que même les disciples, en proie à un désespoir morne, aient commencé à demander : ‘Comment Dieu peut-il permettre une chose pareille ?’ ... Car même des yeux illuminés ne sont pas encore des yeux qui ‘voient’. Non, ceux-ci appartiennent à ceux qui ‘marchent par la foi, non par la vue’ (2 Cor 5:7) ; ils appartiennent à ceux qui font confiance aux ‘plus hautes pensées’ de Dieu, bien au-dessus d’eux ; ils appartiennent à ceux qui, jour après jour, enterrent leurs prières et leur entendement dans la volonté de Dieu, en dépit des protestations de l’âme, de l’esprit et de la raison. Cela – affirma Thielicke – et cela seul, est la confiance. Voilà ce que signifie la foi ».

Il conclut alors : « Il se fait tard maintenant, mon ami, et je suis allé dehors prendre une bouffée d’air frais sur la terrasse. En bas se trouve la plaine obscurcie du Rhin, dépourvue de lumière. Plus d’un soldat s’est joint à ses êtres chers en regardant les étoiles la nuit, de sorte que leurs lignes de vision puissent se croiser au loin. Il se peut que vous, vous aussi, regardiez là-haut à ce moment même.

« Mais je ne peux encore rien voir. Le ciel est noir et sombre, bien que je sache qu’il n’y a pas de nuages. L’éclat de ma lampe de bureau inonde encore mes yeux. Et nous ne voyons jamais le firmament tant que les lumières humaines dominent nos yeux. Dans un instant elles seront éteintes ; les étoiles deviendront alors visibles. D’abord, les brillantes, et puis les éloignées, dans l’espace bien au-delà de mon entendement. Alors, la gloire du firmament s’étendra au-dessus de moi, et je saurai que, même alors, il y a énormément d’étoiles et d’espaces que je ne peux pas voir. Mais ce sont tous sous le même ciel, et il y a des yeux qui les ont tous comptés, des yeux qui les connaissent tous ».

« Dans la maison de mon Père, il y a beaucoup de demeures … je vais vous y préparer une place. … je reviendrai et je vous prendrai avec moi, afin que vous soyez, vous aussi, là où je suis ».

Jésus discute de la maison de son Père où, assure-t-il à ses disciples, il y a une demeure pour chacun d’eux. Il leur dit qu’il va les y préparer une place pour qu’ils, eux aussi, puissent vivre avec lui, là où il vit. Et il dit qu’ils savent déjà le chemin de la maison du Père.

Mais Thomas a du mal à comprendre. Il a l’air de ne pas se rendre compte que Jésus parle d’aller à son Père. Donc, Thomas dit que puisque aucun d’eux ne sait où Jésus va, on ne peut pas s’attendre à ce qu’ils connaissent le chemin. Mais le chemin du Père n’est pas un chemin de ce monde. Donc, Jésus dit :

« Je suis le chemin ».

Nous avons tous entendu que « tous les chemins mènent à Rome ». Mais est-ce vrai ? Eh bien, à partir de tous les Interstates [Les « Interstates » (et I-95) se réfèrent au réseau de grandes routes nationales aux Etats-Unis continentaux qui enjambent le pays entier, mais non sur une île comme Hawaï en plein milieu de l’océan (voir le prochain paragraphe). – Traducteur] on peut parvenir à I-95. Et I-95 nous mène au Garden State Parkway qui mène à l’Avenue Asbury et puis au Main Street et ensuite au Main Avenue ici à Ocean Grove et puis au Pilgrim Pathway juste devant cette chapelle. Depuis là on peut continuer vers Ocean Pathway, marchant vers l’est, en direction de Rome. On peut descendre des planches vers un petit sentier qui donne sur la plage et puis jusqu’au bord de l’eau. Mais Rome est à l’autre côté de l’océan. Aucun chemin ne mène d’ici à Rome. Entre ici et là, il y a « un grand abîme ». [Voir Luc 16:26.] Tous les chemins ne mènent pas à « la ville éternelle ».

Kirk Talley dit qu’il roulait une fois à moto le long d’une grand-route en Hawaï. Des camionneurs qui roulaient à toute vitesse le forçaient à maintes reprises à quitter la chaussée, tout en klaxonnant bruyamment et faisant des gestes vulgaires. Il décida donc de prendre des routes locales. Mais il se perdit. Il ne pouvait pas alors trouver le chemin qui menait à ce qu’il appelait « l’Interstate ». Je lui dis : « Kirk, si tu cherches l’Interstate en Hawaï, tu es plus perdu que tu ne penses ».

C’est vrai pour les métaphores comme pour les cartes : tous les chemins ne mènent pas à Rome. Tous les chemins ne mènent pas chez soi. Tous les chemins ne mènent pas à Dieu. Il y a des détours et des impasses. Les chemins ne mènent pas où nous le présumons ; ils se terminent sans parvenir à la destination qu’on nous avait promise. Nous sommes peut-être plus perdus que nous ne pensons.

Dans le dernier sondage réalisé auprès des Américains sur la religion, fondé sur des entrevues avec 36.000 gens, 70 pour cent des Américains affiliés à une religion étaient d’accord sur le suivant : « bien des religions peuvent mener à la vie éternelle ». Est-ce surprenant ? Ce qui est choquant, c’est que 57 pour cent des chrétiens évangéliques sont du même avis. Le directeur du Centre pour l’étude du christianisme mondial à Gordon-Conwell (séminaire théologique et évangélique au Massachusetts) affirma que les réponses reflétaient tant l’ignorance théologique qu’un « sécularisme fade ».

Dans le Sermon sur la montagne, Jésus dit qu’il n’existe que deux chemins – seulement deux. Et, contrairement à ces deux chemins rationalisés qui, une fois, « divergeaient dans un bois jaune », la plaisanterie de Robert Frost pour initiés « aux dépens de ceux – dit-il – qui croyaient peut-être que j’allais vivre assez longtemps pour regretter le chemin que j’avais choisi dans ma vie », Jésus voulait dire que le chemin qu’on choisit dans la vie est bien une question de vie ou de mort. Ce que Frost voulait dire c’est que le chemin qu’on choisit dans la vie n’a pas d’importance. Mais pour Jésus, c’est très important. Il n’existe que deux chemins, dont l’un est le chemin spacieux qui mène à la perdition. L’autre c’est le chemin resserré qui mène à la vie. (Matt 7:13-14) Nombreux sont ceux qui prennent le chemin large vers la perdition. Mais peu nombreux sont ceux qui suivent ce petit sentier vers la vie.

Le mot grec employé ici pour « la vie », c’est zoan – c’est la vraie vie, la vie éternelle, la vie de l’Auteur de la vie, Jésus qui est la Vie, lui-même. Evidemment, Jésus ne se réfère pas ici simplement à la vie biologique. Cette vie éternelle qui se trouve le long du petit sentier qui est le contraire de ‘la destruction de masse’ au bout du chemin spacieux des masses.

Or, gardez à l’esprit que sa discussion sur les « peu » qui trouvent le chemin resserré de la vie est hyperbolique. « D’un autre point de vue », comme le fait remarquer un érudit biblique, Jésus promit « une moisson abondante ». (9:37-38) : « Les débuts d’un royaume sont peut-être modestes, mais la promesse de l’avenir est grande ». (Donald A. Hagner) Le royaume ressemble à une graine de moutarde qui pousse jusqu’à ce qu’elle devienne assez grande pour que les oiseaux puissent nicher dans ses branches. (13:31-33)

Et maintenant, là, près du bout de son temps avec son cercle rapproché de disciples, et se référant à lui-même comme la Vérité, il dit : « Je suis le Chemin », « Je suis la Vie ». La Vérité leur dit la vérité : « Personne ne peut aller au Père autrement que par moi ». Que voulait-il dire ?

Il y a un article sur « Une recette de la compréhension » qu’aucun d’entre vous n’a vu, j’en suis sûr. Comment puis-je en être si sûr ? C’est dans le numéro de l’automne de la revue d’AARP. [AARP (l’Association des retraités américains) est une association des gens de plus de 50 ans.] Il traite d’un mouvement à Denver dit « Tables communes ». Plusieurs athées, quelques baptistes, un juif, un bahaï et quelques musulmanes se retrouvent chez l’un, chez l’autre pour dîner et causer. La seule règle : Défense d’« évangéliser » ! Voyez-vous, tous les avis sont égaux sauf cet avis que tous les avis sont égaux. Il l’emporte sur tout autre avis. Mais les Postmodernes ne s’en aperçoivent pas. Les rédacteurs d’AARP pensent qu’il est très à la mode d’interdire de promouvoir la foi en Christ. Mais ils remplissent leur revue avec des publicités poussant les lecteurs à acheter toutes sortes de trucs, et des rubriques d’aide telles que « Celui qui démystifie tout » et « Le voyageur anticonformiste ».

Si vous êtes trop jeune pour AARP, essayez « La botte qui en dit long sur vous » au Gap, où chaque vêtement « convient à ton propre style ou philosophie personnels ». Le Gap nous dit : « Invente ta propre philosophie® ». Mais cela, c’est la philosophie du Gap ? Et on voudrait l’imposer sur autrui ?

J’ai récemment lu autre chose. C’est une citation du poète, Robert Brault, qui dit : « Aujourd’hui j’ai déformé la vérité pour être aimable, et je ne le regrette pas, car je sais beaucoup mieux ce qui est aimable que ce qui est vrai. ». Mais attends un peu, Bob. Savoir ce qui est aimable, c’est mieux savoir ce qui est vrai, n’est-ce pas ?

Ecoutez, soit Jésus est celui qu’il prétend être, soit il ne l’est pas. Mais on peut compter sur Jésus pour être lui-même, qui qu’il soit. S’il est menteur, on peut compter sur lui pour mentir. S’il a la folie des grandeurs, on peut compter sur lui d’être malade mental. Cependant, s’il n’est ni menteur ni fou, lui-même, on peut compter sur lui pour dire la vérité. Et il dit qu’il est, intrinsèquement, le Chemin, la Vérité et la Vie. Ceux-ci ne sont pas simplement ce qu’il fait, ils sont ce qu’il est – son être même.

Pilate dit à son prisonnier : « Qu’est-ce que la vérité ? » Etait-ce une question ou une déclaration ? Pilate était-il en quête de vérité ? Ou bien était-il question de simple curiosité, ou de cynisme endurci ? « Qu’est-ce que la vérité ? » C’est une question qui vous intéresse ? Si oui, cela vous intéresse peut-être de savoir que Jésus affirma être la Vérité, lui. Qu’est-ce que la vie ? C’est une question qui vous intéresse ? Si oui, cela vous intéresse peut-être de savoir que Jésus affirma être la vie, lui. Comment répondre à ce qu’il dit ? On ne peut pas éviter de répondre d’une manière ou d’une autre. Même l’indifférence est une réponse.

« Celui qui m’a vu, a vu le Père ». « Je suis dans le Père et le Père est en moi ». « Le Père demeure en moi ». « Je suis le seul chemin du Père ». « Je vais auprès du Père ».

Ces déclarations ne portent pas seulement sur l’unité avec le Père. Il s’agit de sa relation avec le Père, ce qui est tellement intime qu’il n’y a aucun égocentrisme en Jésus. Voir Jésus, c’est voir Dieu, celui que nul homme ne pouvait voir et demeurer en vie. Pourtant, le Transcendant est transparent en Jésus.

Et voilà ce qu’un pharisien nommé Saul de Tarse, persécuteur acharné des premiers chrétiens, finit par croire et déclarer sur Jésus, après avoir rencontré le Christ ressuscité. C’est le message que prêchait Paul qui aboutit à sa décapitation. Depuis la prison de Rome, il écrivit ceci sur Jésus : « Ce Fils, il est l’image du Dieu que nul ne voit, il est le Premier-né de toute création. Car c’est en lui qu’ont été créées toutes choses dans les cieux comme sur la terre, les visibles, les invisibles, les Trônes et les Seigneuries, les Autorités, les Puissances. Oui, par lui et pour lui tout a été créé. Il est lui-même bien avant toutes choses et tout subsiste en lui. … Car c’est en lui que Dieu a désiré que toute plénitude ait sa demeure. Et c’est par lui qu’il a voulu réconcilier avec lui-même l’univers tout entier : ce qui est sur la terre et ce qui est au ciel, en instaurant la paix par le sang que son Fils a versé sur la croix ». (Col 1:15-17, 19-20)

Rien d’étonnant à ce que Thielicke affirme dans son sermon sur le ‘Notre Père’ : « Absolument tout dépend de ce seul fait, que c’est Jésus-Christ qui nous apprend cette prière. Lui seul, dans sa vie et dans sa mort, est la garantie qu’il existe un Père, que Dieu est néanmoins au travail dans ce monde cruel, dur et orphelin de père, bâtissant sa royaume de miséricorde dans le secret de la Croix ».

« Oui, je vous déclare, c’est la vérité : celui qui croit en moi fera aussi les œuvres que je fais. Il en fera même de plus grandes parce que je vais auprès du Père. Et je ferai tout ce que vous demanderez en mon nom, afin que le Fils manifeste la gloire du Père. Si vous me demandez quelque chose en mon nom, je le ferai ».

Jésus va aller auprès de son Père et l’Esprit va venir auprès des disciples. Jésus est sur le point de leur parler de la venue de l’Esprit. Par son retour promis dans l’Esprit qui demeurera auprès d’eux, il donnera à ses disciples un pouvoir qu’ils n’avaient jamais eu quand il était avec eux en personne.

Et les disciples, qui auront alors l’Esprit, seront amenés à prier selon la volonté du Père, par l’autorité de Jésus, et donc, bien sûr, leurs prières seront exaucées.

« Si vous m’aimez, vous m’obéirez. Et moi, je demanderai au Père de vous donner un autre Défenseur de sa cause, afin qu’il reste pour toujours avec vous : c’est l’Esprit de vérité, celui que le monde est incapable de recevoir parce qu’il ne le voit pas et ne le connaît pas. Quant à vous, vous le connaissez, car il demeure auprès de vous, et il sera en vous ».

Aimer Jésus et lui obéir, ce ne sont pas deux choses, c’est une même chose. Cela n’a aucun sens de prétendre l’aimer si nous ne lui obéissons pas. Mais prenez courage.

Ici, l’emploi du présent, ce qui représente une action continue, signifie que Jésus parle d’une habitude quotidienne de tendre obéissance. Il ne veut pas dire qu’on ne ferme jamais les yeux sur cette habitude dans un instant de désobéissance. Mais il s’attend à ce qu’un vrai disciple, celui qui cherche sérieusement à aimer son Seigneur, cherche sérieusement à faire la volonté de son Seigneur.

Dans le contexte de ses révélations sur son prochain départ, Jésus assure à ses disciples qu’il va demander à son Père de leur envoyer un autre Défenseur – un autre Ami ou Compagnon. Il appelle cet Ami, ce Compagnon, l’Esprit de vérité. Il dit que cet Esprit de vérité va rester avec eux. Qui est-ce, cet Esprit de vérité ? Ne s’était-il pas référé à lui-même comme la Vérité ? N’a-t-il pas affirmé qu’il reviendrait auprès d’eux d’une façon même plus merveilleuse ?

Il explique que les gens de ce monde-ci ne peuvent pas accepter cet Esprit de vérité. Mais, affirme-t-il, ses disciples connaîtront cet Esprit de vérité – de façon intime. Comment ? Celui-ci demeure en eux. C’est vrai, il ne les quittera jamais – ni les abandonnera !

vendredi 18 septembre 2009

Helmut Thielicke et Ira D. Sankey

Erudit évangélique ~ Chanteur évangélique

Exposé préliminaire du Festival de Prédication
d'Evangelicals Concerned
10-12 Octobre 2008
Thornley Chapel à Ocean Grove, New Jersey
par le Dr Ralph Blair

Quel est le sens de la vie ? Qui sommes-nous ? D’où suis-je venu ? Où vais-je ? Ces questions-là étaient autrefois des questions humaines fondamentales. Autrefois les réponses parlaient d’aimer Dieu et de le glorifier. Mais Nietzsche, Freud, les Postmodernes et maintenant, même les célébrités prétendent que nous avons passé l’âge des dieux enfantins. Aujourd’hui, disent-ils, au lieu d’être ‘les grandes questions’, ces questions de sens ne valent même pas la peine d’être posées. L’insignifiance est promue comme la seule réponse à ce genre de question – ce qui veut dire, bien sûr, que ‘l’insignifiance’ est entendu d’avoir du sens – le sens de tout.

Nietzsche passa l’âge des dieux avec une sobre appréhension quant aux implications pour le monde. Mais les Postmodernes l’ont fait avec un sens de supériorité qui est cynique mais naïf. Les célébrités mettent leur grain de sel avec une idiotie élitiste. Et un public qui est tout aussi mal renseigné avale leur présupposé que les questions de sens sont dénuées de sens ou simplement des affaires privées dont le prosélytisme est assurément interdit. Mais il n’y a pas d’inconvénient à faire du prosélytisme contre Dieu – c’est même amusant. Et dans certains cercles, c’est de rigueur. Tout cela est si tristement prévisible dans un monde déchu.

Si on faisait allusion à sa foi en Christ à une soirée new-yorkaise, il y aurait un silence stupéfait et une bousculade pour changer de sujet. Les autres invités pourraient même le trouver intolérante et reculer. Et alors ? Ils continueraient à se faire piéger par tout le complaisant égocentrisme de la société séculière – inventant du sens qui commence et se termine par eux-mêmes. Que ce soit le cynisme intello-branché de « Rock Me Sexy Jesus », l’absurdité du Secret, la résistance pseudo-thérapeutique à la Transcendance, ou le plus haut charabia de la théorie critique à propos de rationaliser la révolte de l’âme, c’est la répression. C’est une conspiration de contrefaçons pour réprimer la vraie quête d’un Créateur abandonné. Et c’est une dépendance tant pour les non croyants que pour les croyants.

L’année 2008 marque l’anniversaire centième de la naissance d’Helmut Thielicke, le grand théologien et prédicateur allemands qui risqua sa vie en refusant d’être au service de l’orgueil démesuré qui découlait de l’Übermensch (‘surhomme’) antichrétien de Nietzsche. Un historien qui étudie Hitler et ses lectures des sciences occultes observe que tout cela avait pour résultat « une mesquine et calculatrice tromperie de brimade » [Timothy Ryback] qui provoqua ce que Hannah Arendt appela « l’expérience contre la réalité ».

L’assaut contre la moralité chrétienne mené par Nietzsche est aujourd’hui une industrie en expansion. Religulous, le film de Bill Maher, n’est qu’un seul récent exemple absurde, car Maher, lui aussi, croit à l’occulte, à la clairvoyance et aux maisons hantées, et il invective contre la vaccination, voire contre l’aspirine. Portant des œillères, Stephen Holden, critique du New York Times, prétend que « la plupart des Américains embrassent une forme de foi aveugle qui, par sa nature même, requiert un saut vers l’irrationnel … impossible à expliquer ou à défendre en des termes rationnels ». D’autres critiques acclamèrent Religulous : « Alléluia ! – c’est désopilant et diabolique – une marrante et blasphématoire détonation de tout ce qui est saint et biblique ». Thielicke considérait correctement de telles idioties comme n’étant « rien de moins qu’un substitut pour une transcendance perdue ». Heureusement, Fireproof, le film de Kirk Cameron qui soutient la foi chrétienne, obtint un bien meilleur succès au box-office que Religulous.

Et contrairement à l’hostilité promue par des médias contre Dieu, le sondage Gallup trouve que 31 pour cent des gens qui ne croient pas en Dieu croient au paranormal et à l’occulte tandis que seulement 8 pour cent de ceux qui croient en Dieu avalent de telles superstitions et pseudo-sciences. Une diminution de foi en Dieu correspond à une augmentation de crédulité à l’égard de la superstition et de la pseudo-science. Comme l’observa G. K. Chesterton : « Quand un homme cesse de croire en Dieu, ce n’est pas pour croire à rien mais pour croire à n’importe quoi ».

Il y a cinquante ans environ, Thielicke publia deux recueils de sermons intitulés Le Christ et le sens de la vie et Comment commença le monde. Thielicke d’affirmer : « La question – d’où nous venons et où nous allons – est un des défis élémentaires de la vie. Peut-être que c’est la question la plus importante de la vie. C’est seulement quand nous y aurons une réponse que nous apprendrons qui nous sommes ».

Il commença par présumer que nous avons reçu une révélation significative d’au-delà de l’espace et du temps. Il commença par affirmer que nous ne pouvons pas comprendre qui nous sommes à moins que nous ne revenions au commencement, quand et où commença le monde. La signification du monde, et la nôtre au sein du monde, ne sont pas d’origine récente. Ce n’est pas quelque chose que nous pouvons inventer pour l’adapter à nos besoins ou pour correspondre aux modes de l’époque. La signification est un don de Dieu.

Et remontant à la création de l’humanité – et à la Chute, il l’observa : « Nous les êtres humains savons très bien, ou tout au moins soupçonnons quelque peu, que lorsque nous vieillissons, et quand la race humaine entière vieillit, quelque chose se passe là qui est tout à fait différent que le bourgeonnement, le mûrissement et la floraison d’une rose. Car ce qui se développe dans la vie humaine n’est pas seulement les dons et les bénédictions que Dieu y a mis. Les semences que l’Adversaire maléfique a plantées dans notre cœur poussent, elles aussi ».

« Donc, affirma Thielicke, il est évident que nous ne pouvons plus reconnaître à quoi Dieu nous destinait quand il nous créa, ce qu’il avait en tête quand il conçut l’image de l’homme, en regardant ce que nous sommes vraiment et ce que nous sommes aujourd’hui. Et, parce que nous savons cela, nous revenons au bourgeon, à la recherche du dessein initial. Nous cherchons l’origine de l’homme pour découvrir ce que l’homme était vraiment avant le catastrophe qui l’a défiguré et déformé. … Si je veux savoir qui je suis vraiment et à quoi Dieu me destinait, je dois chercher derrière le paradis perdu, je dois me tourner vers la matinée de la création et m’efforcer d’entendre les premières paroles de Dieu pour moi et mon père Adam ».

Dans le « Final » de son autobiographie, Thielicke écrivit : « à beaucoup de mes contemporains, il paraissait grotesque – et le paraît toujours – de consulter un ancien livre, à savoir, la Bible, sur notre origine et notre destination, et avec son aide de comprendre le but pour lequel nous avons été créés. Ne pouvons-nous pas envoyer nos sondes dans l’espace ? Ne sommes-nous pas constamment à l’affût de tout ce qui est nouveau, des ‘innovations’ ? … N’est-ce pas un pas en arrière de fouiller dans les lieux anciens où Dieu laissa ses traces ? »

A l’âge de 75, deux ans avant qu’il ne soit mort, il écrivit : « Pendant ma longue vie j’ai vu tant de vérités qui prétendaient être ‘le dernier mot’ aller et venir ! … Comme les dieux d’une époque semblent cocasses juste deux heures plus tard ! Comme ils apparaissent absurdes, vus de derrière ! Il se peut qu’il faille être aussi vieux que moi pour ne plus être ému par le bruit et la mode de l’époque ou de ne pas être impressionné par les applaudissements des médias qui les accompagnent. Il y a seulement quelques évangiles qui durent ». Se rappelant les foules de gauchistes dans les années 60 qui prirent d’assaut son église comme des chemises brunes nazies, il affirma : « Des gens comme moi … cherchaient la vérité dans ce livre qui est ancien et éternellement jeune. [Nous voulions] rester fidèle à [ce que son ami Karl Barth appela ‘ce nouveau monde étrange de la Bible’, mais nous] étions constamment maudits comme des représentants du passé. [Mais] au moyen de cet ancien livre je me rendis compte que je faisais déjà face à l’avenir, à savoir, cette époque dans l’avenir qui rendrait évidente la futilité des dieux de l’époque et qui témoignerait de l’éternité du seul Dieu. Par contre, comme les alternatives banales de ‘conservateur’ et ‘progressiste’, ‘réactionnaire’ et ‘tourné vers l’avenir’, voire ‘droite’ et ‘gauche’ paraissent idiotes ! »

Et Thielicke que trouva-t-il dans les pages de cet ancien livre des livres ? Il affirme avoir trouvé que « leur but est de démontrer ce que signifie pour moi et ma vie le fait que Dieu est là au commencement et à la fin, et que tout ce qui se passe dans le monde – ma petite vie et ses joies, et aussi l’histoire de l’ensemble du monde … est, pour ainsi dire, une conversation qui est entourée, soutenue et protégée par le souffle de Dieu ». Voilà pourquoi il peut continuer en disant : « Une fois que Dieu sera devenu le thème de la vie d’un homme, elle deviendra énormément passionnante, voire aventureuse ».

Il subit les horreurs des deux guerres mondiales et la destruction de vie par les régimes nazis et soviétiques. Mais la vie de Helmut Thielicke avec son Seigneur était, ici – et sûrement qu’elle l’est encore, là-haut en présence de Dieu – la vraie aventure, celle qui se dévoile sans cesse avec Dieu, Lui-même.

Thielicke est né en 1908. Pour le mettre dans son contexte historique, les personnages suivants sont nés dans cette année-là, eux aussi : Olivier Messiaen, Lyndon Johnson, Thurgood Marshall, Harry Blackmun, Simone de Beauvoir et Abraham Maslow, ainsi que Bette Davis, Ethel Merman, Rosalind Russell et le petit Quentin Crisp.

J’étais frappé par un des premiers souvenirs de Thielicke. Quand on lui dit qu’il irait au jardin d’enfants, il imagina qu’il serait « planté dans la terre par les pieds et alors, constamment arrosé ». Quand on m’a dit que j’irais au jardin d’enfants, moi, j’imagina qu’il faudrait travailler sous le soleil chaud, creuser dans la terre et arracher de mauvaises herbes toute la journée ! J’étais tellement soulagé de découvrir autre chose.

Avec deux doctorats de l’université d’Erlangen, cet esprit universel écrivit des centaines d’articles dans des revues savantes et populaires. Il écrivit deux ouvrages en trois volumes d’érudition rigoureuse : La foi évangélique et L’éthique théologique. Il écrivit un livre sur l’art de prêcher, un hommage au grand prédicateur victorien, Charles Haddon Spurgeon. Voici quelques-uns de ses nombreux recueils populaires de sermons : Le Christ et le sens de la vie, Comment croire de nouveau, La vie peut recommencer, Comment commença le monde, Etre chrétien quand arrivent les ennuis, La question cachée de Dieu, Le Père en attente, et Je crois, ce que Christianity Today appela « un ouvrage d’apologétique d’une puissance formidable ; celui-ci trouvera sa place parmi les œuvres chrétiennes qui ont cherché, non à écraser les adversaires intellectuels, mais à amener les sceptiques sincères au Christ ».

Dans sa critique du second tome de Thielicke sur la théologie systématique, Bernard Ramm, l’érudit baptiste américain, l’appela « évangélique et luthérien, analytique et incarnationnel, une théologie de précision, une théologie existentielle, et une théologie de prédication ».

Cette théologie profondément pratique fut prêchée. Le traducteur des œuvres théologiques de Thielicke affirma que celui-ci était probablement le meilleur prédicateur germanophone depuis Martin Luther. « Thielicke, dit-il, atteint une stature presque apocalyptique dans sa représentation du monde brisé, et dans sa proclamation du message du salut et du jugement de Dieu dans le monde ». (Geoffrey Bromiley) Comme le dit Richard John Neuhaus : « Helmut Thielicke est pratiquement sans égal dans son aptitude d’unir ses talents de pasteur, de prédicateur, d’enseignant et de théologien en éclaircissant la foi chrétienne tant pour l’intelligentsia méprisant que pour les croyants avec des doutes ». Tous étaient d’accord sur le fait qu’il était une expérience extraordinaire de l’entendre prêcher devant des congrégations débordantes deux fois par semaine. Toutefois, ses sermons sont encore disponibles sous forme imprimée, ayant été traduits en une douzaine de langues et vendus pour des décennies.

Une heure avant ses sermons de samedi soir, il n’y aurait plus eu de places dans l’église gigantesque de St Michel dans la ville profane d’Hamburg. Vêtu de sa toge noire au col blanc, il se dressait dans cette chaire haute et bulbeuse et prêchait ardemment des sermons centrés sur le Christ avec éloquence persuasive, avec précision exégétique et avec soin pastoral. Il ne manquait jamais de se référer à l’évangile – le Christ sur la croix, expiant nos péchés : « Golgotha est une douleur dans le cœur de Dieu, dit-il. C’est un Dieu qui l’emporte sur lui-même, c’est une lutte de Dieu avec lui-même ».

Un luthérien avec une touche de l’Eglise Libre, il avait des opinions claires sur ce qu’il appelait des « sermons dégénérés ». Il affirma que l’une sorte en est « la transformation du sermon en un discours politique fixe qui proclame qu’une position politique particulière est la position chrétienne ». Il expliqua : « D’après mon expérience, cette sorte domine chez des gens dont la substance spirituelle est trop diluée pour faire une proclamation passionnée de l’Evangile ». L’autre sorte de ‘sermon dégénéré’ est « un certain ritualisme qui étouffe ou au moins obscurcit la foi personnelle de l’individu par l’utilisation excessive des expressions consacrées et de la musica sacra traditionnelle ».

Les Américains s’étonnaient qu’il ne prêche pas en anglais en Amérique. Il expliquait qu’il n’avait étudié que les langues classiques et ajoutait, ses yeux pétillants : « Les garçons étudiaient l’anglais pour devenir des serveurs ». Donc, il employait d’habitude un traducteur, mais lutta parfois pour lire une traduction anglaise lui-même. Après qu’il avait fait ainsi au cours d’un discours à Chicago, quelqu’un lui dit : « Je pensais toujours que l’allemand était une langue difficile. Mais j’ai pu comprendre au moins deux phrases de votre discours ».

Helmut Thielicke ouvra la voie pour repenser la position chrétienne sur l’homosexualité. Il fut donc particulièrement approprié que, dans le numéro du printemps 1986 du Record d’EC, nous prîmes note de son décès à l’âge de 77.

En 1963, dans ses conférences à l’Université de Chicago, il reconnut que l’orientation homosexuelle « est déjà présente avant que la première décision ne soit faite ». Il trouvait dans les commentaires de Karl Barth et d’autres théologiens « une telle confusion étonnante » sur l’homosexualité qu’il doutait qu’ils aient « jamais accompagné une personne homosexuelle en tant que pasteur sur le ‘chemin’ qu’elle avait à suivre ». Thielicke reconnaît la vérité de l’observation de Flannery O’Connor : « La conviction sans l’expérience aboutit à la dureté ». Il soupçonnait ce que soupçonnait Harry Ironside : Il est facile de prendre nos préjugés pour nos convictions.

Thielicke de conclure : « Il n’y a pas le moindre excuse pour vilipender l’homosexuel intrinsèque pour des raisons morales ou théologiques ». Se rappelant la parabole de Jésus sur les pièces d’or qu’un roi donna pour investir, il encouragea les gens à recevoir leur orientation homosexuelle de façon responsable, comme quelque chose d’être considéré « comme une pièce d’or pour investir». (Luc 19:13 ss)

Il rassura ses lecteurs que la façon exacte dont on devrait mettre en œuvre un tel ‘investissement’ « peut être discuté seulement quand on se rend compte que même le Nouveau Testament manque d’une déclaration normative évidente sur cette question. Même le type de question auquel nous sommes parvenus, à savoir, le problème posé par ‘l’habitus endogène’ de l’homosexualité, doit être, pour des raisons purement historiques, étranger au Nouveau Testament ». Thielicke affirma que la question doit nous mener à examiner « comment l’homosexuel dans sa situation réelle peut atteindre à son optimal potentiel éthique d’autoréalisation sexuelle. Nier cela, dit-il, signifierait en tout cas un niveau de sévérité et de rigueur que l’on ne penserait jamais à demander » à autrui.

Thielicke plaidait fréquemment la cause des homosexuels. Dans son œuvre de 1984, Être humain – devenir humain, il observa : « la compréhension de nous-mêmes que nous apportons avec nous influe d’une façon essentielle sur notre rayon d’action, sur notre approche et sur la sélection et l’arrangement des phénomènes. Ce bourbier de subjectivisme qui nous menace ne peut être évité que si nous critiquons consciemment non seulement les objets de notre étude, mais aussi nous-mêmes et nos présupposés. Cela s’applique à chaque domaine avec une pertinence anthropologique. Nous sommes trop proches des objets de cette discipline pour ne pas être encombrés des prémisses secrètes. Si l’on désire des exemples réels, il faut seulement penser au débats sur l’homosexualité, où les préjugements sociaux, religieux, moraux et instinctifs organisent une réunion macabre ».

Dans son autobiographie, Notes d’un voyageur, aussi parue en 1984, en allemand, deux ans avant qu’il ne soit mort, Thielicke raconte que dans les premiers jours de leur mariage sa femme et lui attendaient un plus jeune ami d’école, Horst Erbslöh, âgé de 27 ans, pour passer avec eux les fêtes de Pâques.

Thielicke se rappela : « C’était son corps athlétique, la grâce de ses mouvements et son sourire radieux qui attirèrent d’abord mon attention. Il aimait être conduit et conseillé par un garçon plus âgé comme moi, et il aimait aussi être corrigé de temps en temps quand il se plaignait de ses mauvaises notes à l’école. Je lui disais qu’il l’avait provoqué lui-même par sa tendance charmante à la paresse ».

Thielicke d’avouer : « Plus tard, il m’était clair que cette amitié était teintée d’un érotisme tendre, bien que cela n’ait jamais été ouvertement exprimé, même en mots. Cette retenue portait moins sur notre chasteté naturelle que sur les limites imposées à notre comportement par le tabou collectif que cet âge-là employait pour protéger la sphère érotique. Pour cette raison, notre amitié n’alla pas au-delà d’une affection enthousiaste l’un pour l’autre. Cette affection me donne encore une immense joie, même en y revenant un demi-siècle plus tard ».

Il poursuivit : « Une fois, pas longtemps avant sa visite attendue à Heidelberg, je rêva de lui. Je me vis devant son cercueil, bronzé, donnant une oraison funèbre en son honneur. Ce rêve devint réalité. Il n’y arriva pas comme prévu ce matin de Pâques, mais au lieu de cela, envoya une longue lettre où il m’informa qu’il avait entrepris un voyage d’où il ne reviendrait jamais. Il dit que j’étais le seul à en être informé, et me demanda de ne pas partir à sa recherche. Il me remercia de ce que je lui avais dit à propos de la foi, et de toute l’amitié que je lui avais montrée. Il affirma que cela le consolerait quand le temps serait venu de mourir au plus bel endroit au monde ». Horst écrivit sur ses pertes financières et sur sa petite amie qui refusa de l’épouser, et il demanda qu’on prie à Dieu de lui pardonner. Thielicke rapporta que « les dernières phrases étaient tachées » et dit-il, « je crois que ses larmes y étaient tombées ».

L’année précédente, Horst avait envoyé une carte postale de Berchtesgaden. Il avait marqué d’une croix un petit endroit sur le massif Watzmann, ce qui était enveloppé de mythes, l’appelant « le plus bel endroit au monde. Voilà où je voudrais mourir ».

Thielicke se précipita donc vers Berchtesgaden et demanda qu’on organise une équipe secours. On trouva le cadavre d’Horst à l’endroit exact qu’il avait marqué sur la carte postale. Thielicke d’écrire : « Il ne put pas avoir été mort pour longtemps. Une expression terriblement sérieuse fut gravée dans ses traits ». Il célébra les obsèques à leur ville natale de Barmen et raconta que Horst avait écrit qu’il n’allait pas dans une obscurité sans espoir, mais était convaincu qu’un personnage compatissant l’accueillerait dans l’autre monde.

Thielicke observa : « Pendant les jours que nous avons passés à la recherche d’Horst, le soleil de montagne m’avait bronzé, exactement comme dans mon rêve ».

A mesure que l’influence d’Hitler grandissait, et alors, lorsque les nazis prirent le pouvoir, Thielicke devint une cible. Il était engagé dans l’Eglise confessante – par opposition à la branche ecclésiastique du parti nazi dite Chrétiens Allemands. Le jugeant ‘politiquement suspect’, les nazis forcèrent son expulsion de la faculté théologique de l’université d’Heidelberg et bloquèrent sa mutation à l’université d’Hamburg. Son évêque lui dit : « Après que la guerre aura fini et après que les nazis seront partis, nous aurons besoin de vous de nouveau en tant que professeur. Voilà pourquoi je ne vous donne qu’un poste mineur dans le Jura souabe ».

Il travaillait donc au service d’une petite congrégation à Ravensburg. A cette époque-là, les nazis organisaient des réunions politiques qui coïncidaient exactement avec les services religieux. Beaucoup de gens avaient trop peur des voyous nazis d’aller à l’église au lieu d’aller aux rassemblements nazis. Un certain dimanche où il y avait très peu de gens à l’église, Thielicke interrompit le chant de l’hymne de Martin Luther, « Notre Dieu est une forteresse puissante ». Il leur rappela que la semaine précédente, « beaucoup de gens avaient trop peur d’aller à l’église, et au lieu de cela, ils allèrent à une réunion politique. C’était tout bonnement un reniement de notre foi. Tant que cette honte planera sur nous, il nous sera défendu de chanter le dernier vers, ‘Si l’on enlève votre vie, votre richesse, votre honneur, votre enfant et votre femme. …’ Chanter cela en ce moment serait mentir. Donc, l’orgue jouera maintenant le vers tout seul pendant que nous resterons debout et réfléchirons à notre échec. Malheur à celui qui chante les paroles ! »

Quand les Alliés occupèrent l’Allemagne en 1945, ils établirent un processus agressif de dénazification qui, d’après Thielicke, avait tendance de provoquer des conséquences non voulues mais contreproductives. Il affirma que les Alliés « demandaient constamment aux Allemands d’avouer une culpabilité collective qui était généralisée et sans discernement. Bien des gens l’acceptèrent, souvent en raison d’un opportunisme inconscient voire calculé, [et] cette accusation de soi masochiste … renforça un agréable sens de supériorité morale ». Thielicke poursuivit : « La tendance des Alliés aux condamnations unilatérales et totales qui leur fit ignorer la poutre dans leurs propres yeux … provoqua une réaction furieuse et défensive de la part des accusés, ce qui les empêcha donc de voir la culpabilité qui était vraiment là ». La perspicacité de Thielicke devrait façonner les échanges moralisateurs de nos jours entre les églises anti-gays et les LGBT anti-Eglise.

La famille, les amis et les collègues de Thielicke lui donnèrent une grande fête à l’occasion de son 75ème anniversaire. Après, il rappela les paroles écrites par un ami à un autre : « Les pas s’éteignent. La dernière personne s’en est allée. Le grand jour touche à sa fin. Je suis éveillé à ne pas pouvoir dormir. Je sais que tu attends de m’accueillir, Ô Dieu. Je t’apporte ce que les gens m’ont apporté – des fleurs, des lauriers, la gratitude et la gloire – car, après tout, tout est à toi. Tout le monde n’a parlé que de tes louanges ».

Thielicke remarqua alors : « Une vie humaine en valait la peine, je m’en rendis compte, si elle n’a aidé qu’un seul homme ou une seule femme à trouver sa voie à la source de toute vie ».

Dans son enfance et pendant ses années à l’université, Thielicke trompa la mort plusieurs fois. Et en 1944 il avait été impliqué dans un complot contre les nazis et échappa de justesse le gibet. Dans son livre de 1983, Vivre avec la mort, il résuma son expérience d’affronter la mort : « Dans la mort je m’approche avec confiance de celui qui a la vie et le jugement dans ses mains. Je n’ai pas besoin de compter sur mes œuvres bonnes ni sur mon âme immortelle. Je ne le peux pas, car les œuvres ne sont pas bonnes, et l’âme n’est pas immortelle. Je suis justifié par la grâce seule, et c’est par la grâce seule que je prends part à la résurrection (2 Cor 4:7). Je resterai dans la présence de celui qui est Alpha et Omega. Avec cette connaissance je pars pour la nuit de la mort, qui est une vraie nuit. Je sais qui m’attend le matin ».

Voilà les dernières paroles de son autobiographie : « En tant que chrétiens nous sommes certains que la durée de vie qui nous est donnée n’est que l’avènement d’une réalisation encore plus grande. La terre à laquelle nous sommes appelés est une terra incognita – une terre inconnue, voire inconcevable. Il n’y a qu’une seule voix que nous y allons reconnaître parce qu’elle nous est déjà familière ici : la voix du Bon Berger ».

Jacob parla de ce Bon Berger à la fin de sa vie à lui : « Il m’a conduit depuis que j’existe jusqu’à ce jour ». (Gen 48:15) Et David, le roi-berger, témoigna que ce même Seigneur était son Berger à lui aussi, afin qu’il n’ait besoin de rien même dans « la vallée de l’ombre de la mort ». (Ps 23) Le Bon Berger est le Seigneur dont les prophètes déclarèrent les promesses. La voix du Bon Berger vint par l’intermédiaire d’Ezéchiel : « Je chercherai la brebis qui sera perdue, je ramènerai celle qui se sera éloignée, je panserai celle qui a une patte cassée, et je fortifierai celle qui est malade ». (34:16) Et par l’intermédiaire d’Esaïe, les gens entendirent qu’ils s’étaient effectivement dévoyés : « Nous étions tous errants, pareils à des brebis ». (53:6) L’illustration était claire, car tout le monde savait que c’est ce que font des brebis – elles s’égarent. Les brebis ont besoin d’un bon berger pour les soigner ; elles sont trop idiotes pour se débrouiller toutes seules. Elles se perdent et ont besoin d’un bon berger pour aller les retrouver et ramener, même malgré elles, à la sécurité de l’enclos.

Jésus vint alors en tant que bon berger qui vient rechercher et sauver ce qui est perdu. (Luc 19:10) Il dit qu’il se met en quatre pour aller à la recherche de la brebis qui s’égare. (Matt 18:12-14) Et il se vit comme le bon berger quand il dit qu’il donne sa vie pour ses brebis. (Jean 10:11)

* * *

Le Bon Berger était dépeint dans un hymne chanté depuis la fin du 19e siècle. Cet hymne est basé sur un poème, « La brebis perdue », écrit en 1869 par Elizabeth Clephane de Melrose en Ecosse. Elle l’écrivit pour se réconforter après avoir entendu de la mort ivre de son frère – la brebis galeuse de la famille. Mais elle n’entendit jamais la musique, maintenant familière, qui correspond à ses paroles, car la musique ne fut pas ajoutée avant cinq ans après sa mort à elle.

En 1874, l’évangéliste américain, D.L. Moody, et son soliste et chef de musique, Ira D. Sankey, voyageait en train à travers l’Ecosse. Ils étaient en route pour leur prochaine réunion évangélique à Edimbourg.

Moody était absorbé par des lettres. Sankey était assis feuilletant un exemplaire du Christian Age, un journal du dimanche de Londres. Sankey tomba sur le poème de Clephane, imprimé dans le journal. Comme il le lisait, il était profondément ému. Comme l’écrivit la poétesse :

Il y en avait quatre-vingt-dix-neuf
Dans le refuge de l’enclos.
Mais l’une des brebis s’était égarée,
Loin des portails d’or.
Perdue dans les montagnes sauvages et rudes,
Loin des tendres soins du berger.

« Seigneur, tu en as ici tes quatre-vingt-dix-neuf ;
Celles-ci ne te suffisent pas ? »
Mais le Berger répondit, « ma brebis
S’est éloignée de moi ;
Et bien que le chemin soit dur et raide,
Je vais au désert la retrouver ».

Mais aucune des rachetées ne savait jamais
La profondeur des eaux traversées,
Ni l’obscurité de la nuit subie,
Avant qu’il ne retrouvât sa brebis.
Dans le désert, il l’entendit bêler,
Fragile, impotente et prête à crever.

« Seigneur, d’où sont venues ces gouttes de sang
Qui tachent le sentier de montagne ?
—Elles étaient versées pour celle qui s’était égarée
Avant que le Berger ne pût la ramener.
—Seigneur, pourquoi tes mains sont-elles si déchirées ?
—Ce soir des épines les ont transpercées ».

A travers les montagnes fendues par la foudre,
Surgissant du ravin escarpé,
Un cri joyeux parvint au portail des Cieux :
« Réjouissez-vous ! J’ai retrouvé ma brebis ! »
Et les anges répétèrent autour du trône,
« Réjouissez-vous ! Le Seigneur ramène sa brebis !
« Réjouissez-vous ! Le Seigneur ramène sa brebis ! »

Sankey essaya de montrer le poème à Moody, mais Moody y fit à peine attention et continua à lire ses lettres. Sankey arracha le poème du journal et le glissa dans sa poche.

Le lendemain après-midi, à l’Assemblée des Eglises Libres d’Edimbourg, Horatius Bonar fut le prédicateur invité. Il prêcha un sermon puissant sur – de tous les sujets possibles – « Le Bon Berger ». Le sermon de Bonar fini, Moody se tourna vers Sankey et lui demanda un dernier solo approprié. Sankey ne s’y attendait pas et ne savait pas trop quoi faire. Mais, se rappela-t-il : « Il me semblait que j’entendais une voix dire : ‘Chante l’hymne que tu as trouvé sur le train’. » Ceci ne semblait pas avoir de sens, puisque ce qu’il avait trouvé sur le train était un poème, pas un hymne. Pourtant, la voix y persista : « Chante cet hymne-là. » Ainsi, comme il le raconta : « J’ai mis le petit bout de journal sur l’orgue et élevé mon cœur en prières, demandant à Dieu de m’aider chanter de sorte que les gens pouvaient entendre et comprendre. Assis à l’orgue, j’ai joué quelques notes en La bémol et commencé à chanter ».

Lorsqu’il avait fini de chanter le poème, Moody se tourna vers lui et lui demanda : « Où avez-vous trouvé cette chanson ? — C’est ce que je vous ai montré hier, sur le train ». Moody avait l’air de ne pas comprendre. Mais, avec des larmes dans les yeux, Moody se réjouit de la vérité et la beauté de ce nouvel hymne – chanté pour la toute première fois ce jour-là, le 21 mai 1874.

Ecoutez Sankey chanter deux vers de « Les quatre-vingt-dix-neuf ». Cela provient d’un cylindre de cire enregistré il y a plus de cent ans.

Des recherches récentes en Angleterre et en Allemagne montrent que la musique stimule peut-être les défenses immunitaires. On trouve que la musique est associée à des niveaux augmentés d’un certain anticorps et aux niveaux réduits d’une hormone du stress. Bien sûr, on savait depuis toujours que la musique peut remonter le moral. Et Moody savait qu’elle peut en faire encore plus. C’est pourquoi il avait tellement insisté pour que Sankey s’unisse à lui après l’avoir entendu chanter quatre ans plus tôt. Moody lui dit : « La musique et le chant sont essentiels pour renforcer la vie spirituelle. Le chant fait au moins autant que la prédication pour imprimer la parole de Dieu sur l’esprit ». Et c’est vrai. On se rappelle davantage de théologie en chantant des hymnes que jamais en écoutant des sermons. D’ailleurs, comme Moody dit à Sankey : « Chanter aide à développer une audience – même si la prédication est ennuyeuse. Avec des chants qui touchent le cœur, les églises se rempliront à chaque fois ».

En 1870, Sankey vivait et travaillait à New Castle, en Pennsylvanie, à juste deux milles du village d’Edinburg sur les bords de la rivière Mahoning où il était né en 1840. C’est à juste 15 milles de l’endroit où je suis né, moi – 99 ans plus tard. Sankey était dirigeant du chœur dans une église méthodiste à New Castle, et aussi faisait partie du ministère du YMCA du quartier.

Lors de la convention du YMCA en 1870 à Indianapolis où il était délégué, Sankey entendit Moody prêcher pour la première fois. Bien qu’impressionné par la prédication, il n’était pas impressionné par le chant. En fait, c’était tellement faible que, comme il chantait, lui, sa belle voix barytone convainquit les gens de lui demander de diriger le chant. Et il le fit donc. Le chant s’améliora nettement.

Sankey décrivit sa première rencontre avec Moody après le service.

Alors que je m’approchais de M. Moody, il s’avança, prit ma main, et me regarda de sa façon vive et perçante comme s’il lisait dans mon âme même. Puis, il me dit brusquement, « D’où venez-vous ? — De la Pennsylvanie, répliquai-je. — Êtes-vous marié ? — Oui. — Combien d’enfants avez-vous ? — Deux. — Quel est votre métier ? — Je suis fonctionnaire. — Eh bien, vous devrez y renoncer ! » J’étais trop stupéfait pour répondre, et il poursuivit comme si la question avait déjà été décidée : « Je vous cherche depuis huit ans. Il vous faudra venir à Chicago m’aider dans mon travail ».

Moody ne se contentait jamais d’un ‘non’ comme réponse. Donc, même après que Sankey avait dit qu’il le considérerait – par politesse plus que par une intention quelconque de quitter sa famille et son travail – Moody s’y entêta. Au bout de quelques mois, Sankey finit par accepta de passer juste une semaine à Chicago avec Moody. Mais avant la fin de la semaine, Moody l’avait persuadé de devenir membre de son ministère. Ses affaires en Pennsylvanie conclues, il revint vite à Chicago.

Dimanche, le 8 octobre 1871, il était assis devant l’orgue pendant que Moody prêchait. Des bruits venant du dehors de l’église devenaient de plus en plus forts jusqu’à ce qu’on ait entendu des cris que la ville était en feu. C’était le grand feu de Chicago qui durait jusqu’à mardi, le 10 octobre, quand des centaines de gens étaient déjà morts, des milliers déplacés, et environ quatre milles carrés de bâtiments complètement détruits par le feu. C’était il y a exactement 137 ans ce soir.

Dans la terreur qui s’ensuivit, Sankey et Moody se fit séparés l’un de l’autre. Sankey donna un compte-rendu fascinant de son évasion du feu et de l’épreuve horrible durant ces plusieurs jours et nuits.

Enfin il réussit à s’échapper de la ville et prit un train pour la Pennsylvanie. Les deux hommes ne se reverraient pas avant deux mois. Mais dès lors, et année après année jusqu’à ce que Moody soit mort en 1899, ils travaillaient ensemble au service de l’évangile des deux côtés de l’Atlantique – depuis le vieux Hippodrome de New York (qui deviendrait plus tard Madison Square Garden) jusqu’au Crystal Palace and Agricultural Hall de Londres, depuis les retraites estivales à Northfield au Massachusetts jusqu’aux universités d’Oxford, de Cambridge, de Yale et de Princeton. Moody et Sankey préfiguraient les carrières évangéliques de Billy Sunday et de Homer Rodeheaver, et celles de Billy Graham et de George Beverly (‘Bev’) Shea.

Quatre mois avant la naissance de Helmut Thielicke à Barmen, Ira D. Sankey mourut à Brooklyn. Ce fut jeudi soir, le 13 août, à 1900h, juste deux semaines avant l’anniversaire de ses 68 ans. Sa vue baissait durant les cinq dernières années de sa vie. Vers la fin, il devint complètement aveugle. Il passait donc la plupart de son temps à sa maison dans la partie de Brooklyn dite Fort Greene. Il recevait là des visites de ses bons amis, y compris la poétesse Fanny Crosby, longtemps aveugle, dont les poèmes il avait mis en musique.

Sa nécrologie fit la une du New York Times : « Ira D. Sankey est décédé, une chanson sur les lèvres ». Comme le rapporta le Times : « Juste avant qu’il ne sombrât dans l’inconscience à la fin, il est rapporté que l’on l’entendit chanter, sa voix presque inaudible, un vers de son hymne préféré, pas l’un des siens, mais l’un écrit par Fanny Crosby de Brooklyn, l’auteur aveugle des hymnes :

Un jour le fil d’argent se brisera
Et je ne chanterai plus comme maintenant.
Mais oh ! Quelle joie lors de mon réveil
Dans le Palais du Roi ! »

Eh bien, nos deux frères, Helmut et Ira, ne sont plus avec nous dans ce monde-ci. Mais ils sont plus proches de Celui qui a promis de ne jamais quitter ni abandonner aucun de nous. Et alors, de même qu’ils sont avec Lui et qu’Il est avec nous, bien que ‘le fil d’argent’ puisse, en effet, être brisé, notre vie avec le Christ n’est pas brisée, ni la communion des saints non plus.