mercredi 27 juin 2012

La prospérité des spirituellement pauvres

par Ralph Blair
le premier des trois sermons donnés en Octobre 2011
au Festival de prédication d'Evangelicals Concerned

MATTHIEU était méprisé par ses compatriotes juifs. En tant que collecteur des impôts pour l’occupant romain, ils le considéraient comme un traître qui prenait l’argent exigé par Rome et gardait ce qui restait pour lui-même. Les juifs le détestaient. Jésus l’a choisi.

L’Evangile de Matthieu à peine amorcé, on trouve ce qu’on appelle « Le Sermon sur la montagne ». Connu comme « le joyau suprême dans la couronne de l’enseignement de Jésus » (Michael Green), c’est introduit avec une formulation littéraire qui signale le poids des paroles de Jésus. Sa chaîne de mots particulière : « il ouvrit la bouche et se mit à les enseigner ». On le lit :

Jésus, voyant les foules, monta sur une colline et s’assit. Ses disciples se rassemblèrent autour de lui, et il ouvrit la bouche et se mit à les enseigner. [Matt 5:1,2]

.Le Sermon sur la montagne commence par les Béatitudes. Jésus lui-même les avait formulées pour que ses adeptes puissent les facilement apprendre par cœur, et le grec koinè qu’emploie Matthieu utilise l’allitération dans un même but. Pourtant, la familiarité ne signifie pas la compréhension. Simplement apprendre par cœur ce qui est mal compris et mal utilisé peut empire les choses. Gandhi a confus les paroles de Jésus avec des plans directeurs pour la utopie. Marx les a confus avec des drogues. Les protestants libéraux et les fondamentalistes les déforment à leur propre manière. Nous avons besoin de savoir ce que voulait dire Jésus, non ce qu’on nous a dit ce qu’il voulait dire.

Et nous avons ici pas tant un seul sermon qu’une organisation thématique d’un message fondamental que Jésus a sans doute déclaré à maintes reprises.

Bien qu’il y ait une foule qui soit à l’écoute de ce qu’il dit, Jésus se concentre sur ses disciples. Si nous ne voyons pas cela, nous allons mal interpréter ses Béatitudes comme une sorte de liste généralisée de choses à faire – de simples mantras moralisateurs de bon sens pour tout, ou comme Nietzsche les a mal interprétées, des absurdités pour tout asservir. Mais ces Béatitudes ne sont rien de tel. Plutôt, elles sont la façon de Jésus de décrire la distinction d’être ses disciples, citoyens chanceux du royaume de Dieu.

N’importe quel axiome peut avoir du sens pour les chrétiens comme pour les non-chrétiens. C’est vrai même pour deux aphorismes du Dr Bob Jones, Sr, affichés sur les murs des salles de classe de l’université de Bob Jones : « La plus grande aptitude, c’est la fiabilité ». « On ne peut bouger sans produire des frictions ». « Il est possible d’emprunter l’intelligence, mais pas la caractère ». Et ce petit bijou de sagesse simple : « La plus importante lumière à la maison, ce n’est pas le lustre dans le salon. C’est la petite lampe dans le couloir qui vous évite de casser le cou quand vous allez à la salle de bains en pleine nuit ». Tout le monde peut profiter de ceux-là.

Mais les Béatitudes de Jésus sont tout autre, quoique deux des dictons du Dr Bob nous préparent à les comprendre. Comme il l’a dit : « C’est la Croix où j’obtiens le pouvoir de vivre le Sermon sur la Montagne ». Il a aussi dit : « Les religions du monde disent ‘Faites et vivez’. La religion de la Bible dit, ‘Vivez et faites’ ». Et dans ce sens, selon Michael Green d’Oxford : « La religion dit ‘Faites !’ Le Christ dit ‘Accompli !’ ».

D’ailleurs, on ne peut comprendre ni les Béatitudes ne le reste du Sermon sur la Montagne avant de voir que le Sermon sur la Montagne est fondé sur le mont Calvaire. Et le mont Calvaire n’est intelligible que de la perspective du mont de la Transfiguration du Christ (17:1) et du mont de la Tentation du Christ (4:8) et du sommet du mont Sinaï.

La Bonne Nouvelle de Dieu est bonne parce qu’elle nous parle de l’initiative de Dieu en réconciliant l’humanité avec Lui-même par l’arrivée de sa royaume dans la vie, la mort et la résurrection de Jésus. Mais, comme je l’ai dit, même des croyants ne voient pas cela – ni les protestant libéraux ni les fondamentalistes. Les libéraux rejettent la Bonne Nouvelle avec dédain, la qualifiant de fictive et inutilement « sanglante ». Ils réduisent leur religion à un postmodernisme irrationnel, aux paradigmes œcuméniques incohérents et à un amalgame de politiquement corrects programmes sociaux. Les fondamentalistes réduisent la pertinence pour aujourd’hui du Sermon en adhérant à un schème des « dispensations » du 19e siècle dans lequel ce qu’ils appellent « l’âge millénial » est séparé de ce qu’ils appellent « l’âge de l’Eglise », ce qui rend le Sermon pratiquement hors de propos. Les libéraux et les soi-disant « progressifs » affirment que le Sermon parle surtout de la moralité, et les fondamentalistes croient que le Sermon ne les concerne pas du tout. Ils sont tous trop occupés à avancer leur propres préjugés en ce qui concerne le texte pour prendre la peine d’exposer ce que dit véritablement le texte.

Les mots anglais associés aux Béatitudes sont « blessed » ou « happy » (‘béni’ ou ‘heureux’). Mais ce sont des traductions insuffisantes du terme grec makarios. Pour nous, ‘béni’ connote une négociation religieuse, l’éthique de quid pro quo. ‘Heureux’ connote l’émotion. Mais makarios signifie un état de choses enviable. C’est un hourra rassurant, une exultation : « C’est bien fortuné ! » « C’est bien nanti ! » A City Church en 2004, j’ai prêché sur les Béatitudes et j’ai appelé le sermon « Félicitations ! – Jésus », comme si le titre était un message instantané envoyé par Jésus.

Donc, au lieu d’être un code éthique que le public devrait essayer de suivre tout seul, les Béatitudes montrent la vérité encourageante du royaume de Dieu, le règne de Dieu, réalisée et accomplie dans la vie, la mort et la résurrection du Christ.

Jésus ne nous offre les Béatitudes qu’après nous avoir demandé de repentir, de revenir à Dieu. (Matt 4:17) En octobre, le mois de la Réformation, c’est bon de se rappeler que le tout premier des 95 thèses de Luther a été ainsi : « Toute notre vie est le repentir ». Le royaume de Dieu est en train de poindre pour eux alors que Jésus leur annonce la bonne nouvelle. Les Béatitudes sont destinées pour les croyants qui sont entrés par « la porte étroite » (Matt 7:13), ceux qui font du règne de Dieu et de ce qui est juste à ses yeux leur préoccupation première (Matt 6:33) – une droiture de cœur qui n’est pas une question de garder la loi, mais d’un don magnanime. C’est la droiture réelle de Dieu Lui-même, pas une droiture simulée par nous. C’est, comme j’ai cité Michael Green : pas une question de ce que nous avons à faire, mais de ce que Jésus a déjà fait.

Jésus a réprimandé les religionistes qui l’avaient critiqué pour avoir dîné avec des parias chez un percepteur des impôts dont la maison a été construite avec de l’argent sale. En citant Osée (6:6), il a indiqué qu’il n’était pas venu appeler des soi-disant justes, mais ceux qui avouent leurs péchés. (Matt 9:13) Et son thème tout au long du Sermon est ainsi : « Ne soyez pas comme les païens ! » (Matt 6:7f), ni même des ‘païens’ portant des châles de prière ! Paul a fait écho à cet appel quand il a écrit aux Romains que, vu le don de la grâce de Dieu, et en reconnaissance de cela, ils ne devraient pas se laisser modeler par les valeurs de ce monde-ci. (Rom 12:1f)

Les Béatitudes sont dans la tradition de la sagesse sacrée des Proverbes et les Psaumes. Ce que Jésus nous enseigne ici doit être pris pour une objectivement vraie description de la bonne fortune de ses adeptes en le suivant.

Et, bien sûr, si c’est intuitivement connu, cette sagesse transformera en une expérience affective profonde – qu’il s’agisse des soupirs de chagrin ou de soulagement, du profond désespoir ou de la joie de la présence de Dieu – même sans aucun changement de circonstances quotidiennes observables, parce que l’inobservable circonstance a été immuablement changée, pour toujours. Voilà ce qu’a dit Hannah Whitall Smith au sujet du témoignage joyeux de son amie Nancy, ainsi que du sien.

On doit aussi noter que les Béatitudes ne décrivent pas les différents types d’adeptes de Jésus. Elles décrivent toutes la bonne fortune de tous ses disciples fidèles – quelles que soient leurs circonstances extérieures.

Donc, pour résumer, avant de regarder de plus près chacune de ses Béatitudes, on devrait garder à l’esprit le fait que chaque promesse repose sur la prémisse que les destinataires sont déjà comme Jésus les a décrit – pauvres en esprit, en deuil, humbles et ainsi de suite. Les Béatitudes ne sont pas les recettes de Dieu pour la vie chrétienne, mais les dons de Dieu pour la vie en Christ. Et la vie en Christ est bien une Béatitude !

Les Béatitudes commencent par la Béatitude préliminaire la plus appropriée, parce que la première remarque l’orientation de tous les adhérents de Jésus vers la réalité à travers la montée parmi eux du royaume de Dieu par leur Créateur, Rédempteur et Ami. C’est la vision chrétienne du monde, c’est là le style de vie chrétienne parce que c’est elle-même la vie en Christ.

Jésus le déclare :

Heureux ceux qui se reconnaissent spirituellement pauvres, car le royaume des cieux leur appartient !

Les spirituellement pauvres sont vraiment très bénis ! Est-ce paradoxal? Bien sûr. La sagesse du Seigneur va à l’encontre des manières sages de ce monde-ci.

Quand Jésus se réfère aux « spirituellement pauvres », il ne veut pas simplement dire ceux dans la pauvreté matérielle, bien que, dans la pensée hébraïque, il existe un lien entre la piété et la pauvreté – comme dans les « gens de la terre » en Galilée, si dédaignés par l’élite religieuse. Ici, la « pauvreté » signifie la pauvreté sociale, le stigmate des parias et des marginalisés.

La plupart des premiers disciples – en fait, la plupart des premiers chrétiens – étaient, en effet, matériellement pauvres. Même ceux qui n’étaient pas matériellement pauvres, e.g., les gérants de pub et les percepteurs des impôts, étaient tout aussi marginalisés que les boiteux, les mendiants aveugles, les prostituées et tous les autres que les autorités religieuses étiquetaient comme de sales « pécheurs ». Ils étaient oppressés sous les menus détails des règles et des rituels avec lesquels les chefs religieux les noyaient mais ne faisaient rien pour les aider. Et les choses n’allaient pas mieux pour les pauvres sous les fardeaux de la domination romaine.

Et alors, qui étaient ces spirituellement pauvres que Jésus a appelé heureux ?

Ils étaient et sont les « pauvres » qui connaissent néanmoins Dieu. Ce sont eux qui se rendent compte qu’ils sont vraiment à bout du rouleau et aux portes de la mort. Ils savent qu’ils sont désespérés. Ils savent qu’ils sont indignes. Ils savent qu’ils sont morts dans le péché et ne possèdent rien à gagner la faveur de Dieu. Mais, d’une manière ou d’une autre, même dans cet état moribond, ils se rendent compte que Dieu est le dieu vivant et est donc leur seul espoir pour la vie. Et ils dépendent donc sur Dieu seul.

Et voilà exactement pourquoi ils sont si heureux. C’est pourquoi Jésus les félicite. Comme l’exprime un érudit biblique : « Pour Jésus, l’effusion de la grâce, catégorique et sans condition, pour ceux dans une situation désespérée est décisif ». (Ulrich Luz) Ces gens-là se connaissent eux-mêmes. Ils savent qui ils sont et qui ils ne sont pas. Tous seuls, ils ne sont pas des dieux, mais en Dieu, ils appartiennent à Dieu. Ils se tournent vers le seul Dieu vivant pour s’animer. ce qui, pour ceux qui ne comprennent rien, peut sembler être preuve d’une « piètre estime de soi », mais en fait, c’est sagement un sens de leur propre valeur. Et c’est leur bonne fortune. Vu de cet heureux point de vue, ils peuvent tenir autrui en haute estime, et Dieu avant tout. Leur avantage reste en se rendant compte que leur besoin réel va au-delà de quoi que ce soit qu’ils pourraient jamais faire pour eux-mêmes tous seuls, et de quoi que ce soit que n’importe quelle autre personne pourrait faire pour eux.

Ils se rendent compte qu’aucune des prétendues solutions des systèmes de ce monde-ci ne suffirait jamais à résoudre leur problème. Et ils en savent assez pour ne pas se vanter d’une fausse autosuffisance spirituelle. Ils en savent assez pour ne pas se laisser convaincre qu’ils puissent se sortir de leur situation désespérée avec assez d’argent ou de manipulation. C’est là pourquoi ce sont les spirituellement pauvres qui sont les vrais riches. Ils savent que le problème le plus profond est un problème spirituel. Ils savent que leur pauvreté omniprésente est spirituelle. Et donc, ils se tournent heureusement vers l’Esprit de Dieu seul, et trouvent en Lui la seule solution.

Pourquoi les païens pensent autrement ? En pensant autrement, ils n’en ont jamais assez. Jamais assez d’argent, de célébrité, d’estime de soi, d’affirmation, de tranquillité d’esprit, de temps, de sexe, de trucs. Ils ont le sentiment qu’il y a quelque chose qui manque. Mais ils se trompent sur ce qui manque vraiment. Ils sont toujours attirés par l’insignifiant, finissent par rien avoir, et puis courent après plus de la même chose. Rien ne suffit jamais. Ils n’ont jamais assez de néant. Les idoles ne suffisent pas. Les idoles ne livrent pas la marchandise. Mais les païens refusent de l’admettre. Ils refusent de voir leur pauvreté spirituelle.

Les spirituellement pauvres savent ce qui manque. Ce qui manque n’est pas le néant mais le Dieu de toute consolation. Et donc, ils se tournent vers Dieu pour se repentir. Ils se tournent vers Dieu pour résoudre leur problème avec Lui. Et ils découvrent en Dieu, comme l’a fait Anne, que Dieu suffit !

Face aux conséquences dévastatrices du péché, les spirituellement pauvres se détournent de l’égocentrisme pour se centrer dans le Dieu vivant, Celui qui les recentre, réconciliés à Lui-même. Tandis que d’autres âmes, malades de péché, cherchent des solutions par l’égocentrisme, essayant de générer en quelque sorte un salut tous seuls en s’enfonçant dans des choses superficielles, les heureux élus s’enfoncent dans la profondeur de l’Amour le Tout-Puissant et trouvent leur Place.

Dans son ouvrage classique, Qu’est-il arrivé au péché ? Karl Menninger, l’éminent psychiatre, a fait remarquer la détresse d’un « sens persévérant de culpabilité » causé par le péché. Et il a trouvé qu’« il était pathétiquement contreproductif de tenter de l’enlever en projetant le blâme sur autrui quand, plutôt, ils pourraient bénéficier d’un repentir honnête et d’une rédemption réelle ». Que Menninger s’en soit rendu compte ou non, c’était là une approbation enthousiaste de la première Béatitude de Jésus : « Heureux ceux qui se reconnaissent spirituellement pauvres ».

Regardez toutes les autres façons de promouvoir la superficialité comme solution pour cette impression universelle que quelque chose ne va pas chez nous. On peut se laisser séduire par la science. Mais, comme l’a conclu l’historien Arnold Toynbee : « La science n’a donné aucun signe de pouvoir faire face aux problèmes humains les plus sérieux. Elle n’a pu rien faire pour guérir l’homme de sa propension à pécher et de son sentiment d’insécurité, ni pour éviter la douleur de l’échec et la peur de la mort. Par-dessus tout, elle ne l’a pas aidé à s’évader de la prison de son égocentrisme inné ».

Après tout ce temps, le salut au moyen d’une strictement laïque science est censé avoir rendu la religion obsolète. Mais les laïcistes n’avaient pas prévu qu’un sens du sacré persisterait et se répandrait.. D’une voix haletante, CNN rapporte les constatations d’une étude par l’université d’Oxford coûtant plusieurs millions de dollars : « La religion est naturelle, voire instinctive, pour les êtres humains, comme le suggère une nouvelle étude énorme des cultures partout dans le monde ».

Allô ? Les laïcistes ne peuvent pas s’empêcher d’être pris au dépourvu en matière de l’Esprit. L’humanité, n’a-t-elle pas toujours eu des pressentiments voire l’évidence manifeste de la présence indéniable de Dieu, indices célébrés par le Psalmiste (Psaumes 19:1) et donc, d’après Paul, les gens n’ont aucune excuse (Romains 1) ? Dans son ouvrage, Le sacré, Rudolf Otto a affirmé que « tout le développement religieux témoigne de cette conscience universelle qui n’a qu’une seule expression appropriée » – ce qu’il a appelée le mysterium tremendum. Mais malheureusement, pour bien trop de gens d’aujourd’hui, le mysterium tremendum se fait obscurcir par des obsessions du Facebookium triviandum !

Quand même, comme le reconnût Otto – ainsi que les Ecritures saintes – ce « mystère inexprimable » combine « une harmonie étrange de contrastes », provoquant à la fois la tranquillité et le tremblement. Mais, bien sur, cela peut être déformé pour devenir diabolique. Les prophètes et les apôtres proclament le dégoût de Dieu pour la religion pharisaïque qui cherche à manipuler le Divin pour payer nos dettes. Comme l’a dit Karl Barth : « Aucun comportement humain n’est plus critiquable, plus douteux, ou plus dangereux que le comportement religieux. Aucune entreprise ne soumet les gens à un jugement aussi sévère que celle de la religion ». Et comme les rédacteurs du Christianity Today l’ont si bien résumé dans un éditorial cette été : « En bref, la religion est notre tentative vaillante de nous réconcilier avec Dieu tout en ignorant le fait qu’il s’est réconcilié avec nous en Christ. Continuer à travailler pour notre justification au lieu d’accepter notre justification est l’essence de la religion ».

Regardez tous les vains efforts de la religion païenne pour acquérir le salut : national-socialisme d’Hitler, le fascisme de Mussolini, le communisme de Staline et Mao ainsi que leurs nombreux imitateurs, tout aussi pervers. Ils sont venus et ils sont partis, laissant la misère humaine incompréhensible dans leur sillage, le massacre des millions de personnes – dans un seul siècle de prétendu progrès. Et les gens continuent à nourrir l’espoir pour ces dogmes païens.

Et les vains efforts de notre société dans les modes, les engouements et les fantasmes qui font les gens tourner en rond, courant après le « dernier cri » et puis l’abandonnant pour la prochaine manie ? Nous sommes pris par un tourbillon de distractions vertigineuses et sottes, sans relâche. Et donc, bien sûr, ce qui résulte, c’est la déception, le mécontentement, la désillusion et le désespoir. Mais la déception, le mécontentement, la désillusion et même, dans certains cas, le désespoir, peuvent être des bienfaits si nous nous éveillons de nos illusions de sorte que nous nous tournons vers Celui seul qui peut remplir le vide qui est tellement profond que rien ne peut l’emplir à part l’amour même du Dieu vivant en Christ.

Quand nous sombrons dans le désespoir né de l’égocentrisme, l’humiliation qui en découle peut être un bienfait si, suivant la sagesse des saints de tous les âges, nous cessons de compter sur nous-mêmes voire autrui pour le maximum de satisfaction. C’est alors que nous pouvons nous tourner vers Dieu. Quand nous voyons cela, nous arrivons à nous écarter de l’autonomie arrogante et des rationalisations nées de l’apitoiement sur soi, à nous tourner complètement vers le Dieu vivant et à faire pleinement confiance en Lui qui nous fait justes par sa propre droiture. Enfin, nous nous tournons vers Celui qui seul peut nous livrer de tout mal. C’est cela le repentir, vous voyez. Le repentir, c’est la peine ressentie pour notre péché. Comme l’a dit le théologien suisse Emil Brunner : « Se repentir, c’est de désespérer de nous-mêmes, de tous nos vains efforts d’éliminer la culpabilité que nous faisons venir sur nous-mêmes. Se repentir signifie un rejet radical de l’autonomie afin de faire pleinement confiance à Dieu seul. Se repentir signifie reconnaître l’autonomie comme étant le cœur du péché. »

Eh bien, pas étonnant que Jésus ait enseigné que ceux qui voient la vide de leur vie, et reconnaissent leur folie, leur fragilité et la futilité de leurs propres solutions sont ceux qui sont vraiment riches. « Ceux qui sont vides devant Dieu, c'est eux … à qui la promesse est faite ». (Gerhard Barth)

Savons-nous cette vérité puissante de pauvreté spirituelle dans nos propres vies ? Est-ce que nous-mêmes voyons la perspicacité transformatrice de ceux qui sont spirituellement pauvres ? Prions que nous le faisons. Croyez-le sur parole.

Jésus a dit que les spirituellement pauvres – ceux qui savent déjà qui ils sont et à qui ils appartiennent – sont déjà les citoyens du royaume des cieux. Jésus emploie le temps présent : « le royaume des cieux leur appartient », i.e., ils sont sous le règne de Dieu et habitent son royaume. Ce n’est pas question de l’avenir. Les spirituellement pauvres appartiennent déjàici et maintenant – au royaume de Dieu en Christ qui est tout proche. En se tournant vers Dieu, ils sont entrés dans la présence de Dieu.

Et Jésus a encouragé ses disciples à prier que le règne de Dieu vienne sur la terre comme ce soit « au ciel », c’est-à-dire, comme ce soit en Dieu, Lui-même. (Matt 6:10) Jésus parle de notre avant-goût du pleinement réalisé règne de notre Père – « déjà, mais pas encore » – dans la présence duquel les spirituellement pauvres se reposent et prospèrent !

Et Jésus a aussi dit :

Heureux ceux qui pleurent, car Dieu les consolera.

D’après la coutume sémitique, Jésus a employé la voix « passive-divine » en se référant à Dieu. C’était une précaution traditionnelle afin de ne pas se référer directement à Dieu. C’est en contradiction avec l’insouciance irréfléchie des païens et les fondamentalistes de nos jours qui sont si prompts à citer le nom de Dieu.

Mais pour ne pas passer à côté du fait que c’est Dieu que Jésus avait en tête, j’ai traduit ses paroles avec la voix active, fournissant ainsi le mot qui manque, « Dieu ». La traduction littérale de cette béatitude préserve la voix passive : « Heureux ceux qui pleurent, car eux seront consolés ». Consolés par qui ? Il est entendu : Consolés par Dieu, bien sûr.

La construction « divine-passive » indique aussi que la promesse sera tenue avec certitude – car il s’agit de Dieu. L’émerveillement dans les paroles de Jésus sur cette consolation profonde n’a pas échappé à Oscar Wilde. Ce dernier connaissait le chagrin et l’a dit : « Partout où se trouve la douleur, c’est terre sainte ».

Et une fois de plus, comme auparavant, Jésus parle principalement du spirituel. Dans la première béatitude a-t-il parlé de la pauvreté spirituelle. Il parle ici de la douleur spirituelle – un profondément spirituel gémissement qui découle du fait de savoir l’étendue du fossé entre la droiture pure de Dieu et notre pharisaïsme putride. Conscients de cela, nous pleurons. Mais nous ne pleurons pas tous seuls. Car Dieu, vu en Jésus, a aussi pleuré. (Luc 19:41, Matt 23:37) Et encore, dans la douleur il existe une réorientation vers Celui qui seul a la faculté de nous réconforter et nous soutenir, qui va en effet nous réconforter et nous soutenir et effacer toutes les larmes. La rédemption s’enracine dans un tel remords, et s’épanouit dans la résolution de Dieu pour la réconciliation et le soulagement éternel.

Bien sûr, bien que le deuil soit un processus salutaire, le deuil, tout seul, ne résout réellement rien. Le deuil, tout seul, ne réconcilie rien de ce qui est profondément aliéné. Le chagrin, tout seul, ne soulage rien, ne renouvelle rien, ne régénère rien, ne ramène rien d’entre les morts. Comme l’a dit Augustus Toplady : « Si mes larmes pouvaient couler pour toujours, elles ne pourraient pas expier le péché ; Tu dois sauver, et Toi seul ».

D’ailleurs, ce n’est seulement pas notre propre péché que nous pleurons et pour lequel nous avons besoin d’être sauvé. Il n’est pas difficile de voir qu’une si grande partie de la souffrance du monde découle du péché, pas seulement le nôtre – au sein de notre petit cercle égocentrique – mais le péché des persécuteurs et celui des victimes vengeresses aussi. Et quelles que soient les explications théologiques que nous pouvons fournir pour les prétendues catastrophes « naturelles », il y a néanmoins beaucoup à pleurer. En effet, comme l’a écrit Paul, la création tout entière est unie dans un profond gémissement, attendant la libération. (Rom 8:22ff) Et ce que Paul a appelé notre avant-goût de cette rédemption cosmique est sûrement soutenu dans la promesse de la deuxième béatitude de notre Seigneur.

Le deuil a un moyen de nous faire mûrir, de nous faire aller là où nous n’irions que sous la contrainte. Et les larmes ne brouillent pas toujours notre vision. Comme le témoignent les paroles autobiographiques d’Ira Stanphill : « Il a lavé mes yeux de larmes, pour que je puisse voir ».

Quelques-uns d’entre nous au sein d’EC se rappellent que c’était bien là le témoignage de Robert Hoppe et Robert Burger. C’était au milieu des années 80, ces jours épouvantables où l’épidémie de SIDA était en train d’envahir. Il est apparent que ce n’était que dans et à travers ce temps d’anxiété la plus profonde, de deuil anticipatif et la suite de tristesse due à un amant perdu – un temps que Hoppe a appelé « le pire et le meilleur » temps de sa vie – que lui et Burger ont connu une relation profondément personnelle avec Jésus-Christ. Une relation personnelle avec Jésus était quelque chose qu’aucun de ces deux New-yorkais branchés dans des années 70 et 80 n'auraient même envisagée. Mais leur nouveau Sauveur, Seigneur et Ami est devenu leur Rocher pendant les derniers mois de leurs vies ici sur terre. Pendant leur douleur, ils ont mis leur confiance enfantine dans l’Homme de douleur, et le consolation qu’ils ont reçue, ils ont fait ce qu’ils pouvaient pour la transmettre à autrui. Hoppe et Burger ont consolé les autres au moyen de la profonde consolation qu’ils ont reçue de leur Consolateur divin. « Heureux ceux qui pleurent, car Dieu les consolera ! »

Ceux d’entre nous qui nous connaissons être spirituellement pauvres, chantons avec ferveur la doxologie le dimanche matin – nos louanges au Seigneur – « Vous qui subissez longuement la douleur et le chagrin, faites l’éloge de Dieu et déchargez-vous sur lui de tous vos soucis, O louez-le ! ô louez-le ! Alléluia (grêle à Yahvé) Allélu – YAH ! Alléluia ! » La Paix des spirituellement pauvres est Dieu en Christ, lui-même.

Amen.

©2012 Ralph Blair. Tous droits réservés.
(Traduction : Fred Wells)

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